samedi 21 décembre 2013

Adulte silencieux prêt pour Noël

Silence, on tourne.
Ou je tourne, plus précisément. Lorsque ma vie me semble bien portante, j'écris un peu moins à propos de moi, mais mes doigts se déchaînent sur le clavier d'Aurèle (mon portable) au profit de mes divers projets. Un jour, ils porteront fruit. Lorsque tout tourne rond dans ma tête, que je me sens bien avec moi-même et je m'expulse de mon tourbillon habituel en évitant la folie environnante. Le silence. Je le savoure à pleines dents et mes pensées ne me font plus peur. J'observe les voisins, les passants et pas mal tous les autres et je me sens étranger à leur besoin de s'assourdir constamment. À trop entendre, on finit par se perdre et par s'oublier. Mon silence ne me fait donc pas peur : j'ai la certitude d'exister, sans bruit.

J'ai assemblé mon premier arbre de Noël d'adulte, une espèce de structure de métal en spirale. Je l'ai ornée d'une mince guirlande argentée et de quelques boules dépareillées et puis mon micro appartement m'a paru plus chaleureux. Pour moi, ce simili arbre ne représente pas tellement Noël, mais plutôt mon adulterie (ne pas confondre avec adultère), mon entrée dans cet âge un peu raisonnable, moyennement chargé de responsabilités et si actif pour préparer le futur. Je ne réalise pas ces petites actions normales sans me questionner, je les entreprends par besoin, par envie, par excès de motivation et parce que j'assume pleinement mes désirs, maintenant. All I Want For Christmas Is You, chante Mariah Carey. Je pose des actions pour revoir cette personne, mais entre-temps, je me veux encore heureux pour Noël.

J'ai l'impression d'un retour à l'adolescence. À cette époque révolue, on croit vivre ce que personne d'autre avant nous dans l'histoire de l'humanité n'a vécu, en plus de ressentir ce que personne ne pourrait comprendre. En me voyant comme un vrai adulte, comme quelqu'un qui n'a pas besoin de bruit contrairement aux autres, je me vois un peu trop unique. Je vois le monde de travers, mais je fais partie de ce monde distordu.

vendredi 13 décembre 2013

Écrire, écouter, chercher.

Quoi, un mois de silence après avoir cassé les oreilles de tout le monde avec mon « Grand retour » ?
Ben oui.
Le défaut d'avoir enfin trouvé mon domaine, c'est que je me donne dans ce que je fais. Ma fin de session a donc commencé avant même d'avoir terminé la mi-session. Plus qu'un examen et je pourrai travailler en condensé jusqu'à la prochaine session. Mon silence n'est toutefois pas complet ; mon projet de roman s'est vu allonger d'une vingtaine de pages pas trop mauvaises. À ce rythme intermittent, il pourrait se retrouver sur le bureau d'un éditeur d'ici un an et sur les tablettes d'ici dix ans, en restant optimiste.

J'ai entrepris d'envoyer une chanson par jour à quelqu'un, à la fois pour lui faire découvrir mon univers musical et pour dire par la musique des autres ce que je n'arrive pas à articuler. Chaque matin, je me réveille avec en tête une chanson que j'avais oubliée. Aujourd'hui, c'était Soundtrack to Falling in Love, de Charlie Winston. Ça me rappelle leur deuxième spectacle en Amérique du Nord, où je me suis retrouvé sans connaître le groupe. Belle découverte du Festival d'été de Québec, il y a quelques années. Belle découverte de quelqu'un alors que je m'y attendais pas non plus. Comme quoi l'imprévu surprend et charme.

Pourquoi tout le monde me dit « Oh, il ne me reste qu'un seul cadeau de Noël à trouver » alors que je n'en ai qu'un seul de trouvé? Chaque conversation sur le sujet me crée une certaine angoisse de ne rien trouver à temps. J'ai plein de beaux mots pour chacun, mais pas de cadeaux. Pas trop de budget non plus et pas trop d'idées-cadeaux. Mon sapin n'est même pas décoré.

Si je n'ai rien publié ici, c'est peut-être aussi que je n'avais rien à dire, rien à exorciser. Comme si je ne pouvais pas parler de mes bons moments. Je me vois de travers, souvent.

vendredi 15 novembre 2013

Dangereuse et découverte

Hold on tight, you know she's a little bit dangerous
Bien dit, Roxette. Et bonne chanson qui reste en tête des jours et des jours.
Mais qui représente-t-elle, cette mystérieuse entité féminine et dangereuse?
Elle peut faire partie de votre vie depuis longtemps, menacer d'y entrer ou pire, s'en foutre carrément. Ne présentera un danger potentiel que cette personne ou cette situation qui vous atteindra directement au coeur sans le moindre remord, la moindre deuxième pensée et qui vous regardera souffrir, ou pire, qui vous tournera le dos, poursuivra sa route et vous laissera souffrir sans même s'en apercevoir. Et ça, ça veut dire à peu près n'importe quoi qui croisera votre chemin.
Mon instabilité (surtout professionnelle) me caractérise, me permet de me victimiser à temps partiel et me donne un lot intarissable de jus à écriture. Ce même trait de personnalité marque mon fonctionnement. Je ne pourrais pas me définir comme «moi» si elle ne faisait pas partie de moi. Pourtant, ce que j'aimerais m'en détacher de temps en temps. Au lieu de quoi je me lance sans cesse dans des situations qui ne me conviennent pas en sachant très bien que je ne m'y plairai jamais et que toute cette peine que je me donne ne me mènera pas plus loin. Expérience de vie, qu'ils disent. Un peu con, que je me dis.
L'avantage: dans chacun de mes essais, je rencontre des gens marquants. Parfois par leur personnalité ou parcours hors de l'ordinaire plate qui mange des Lays nature devant Occupation Double, d'autres fois justement par un excès d'ordinairerie duquel je cherche à tout prix de m'éloigner.

Bon, maintenant la découverte. Récemment, une personne a commenté mon blog en y laissant le lien vers son blog. Wow. Un style, une voix, une découverte que je n'en ai pas vue depuis un petit moment. J'aime croire que ce genre de surprise me guette et me tombe dessus lorsque je ne m'y attends pas. Si la lecture de textes de qualité m'enchante, elle me stimule aussi beaucoup. Les mots des autres activent les miens, sans pour autant que je ne les laisse teinter mes écrits. Qui que soit ce mystérieux auteur (ou mystérieuse, sait-on jamais), merci.
La découverte ne me lâche plus, ces derniers temps. Je collectionne les personnes formidables, tente de me rapprocher de l'élite de celles-ci, tente de me couper de mes vieux démons et finalement, je me retrouve lentement mais sûrement. Enseigner au primaire m'a toujours semblé contraire à tout ce que je représente et pourtant, j'ai eu le coup de foudre pour l'enseignement à des classes de tout-petits. Chanter devant un public évoquait pour moi un malheureux mélange de panique, de mort assurée, d'incompétence et d'impossibilité et pourtant, me voilà toujours dans une soirée karaoké ou à fredonner un vieux hit des années 1980 auprès d'un petit groupe. Voyager ne représentait qu'un rêve lointain ; maintenant, je l'envisage sérieusement avec des objectifs de formation (stage à l'étranger), de carrière, d'opportunités de vie et de choc culturel enviable.

Je laisse derrière moi cet épisode où la découverte se raréfiait. Bonjour, le monde. Même si je te vois de travers.

vendredi 8 novembre 2013

Le grand retour

Où étais-je, ces quatre derniers mois?
Je ne saurais l'expliquer, mais écrire ici ne me semblait plus pertinent. J'ai commencé par me concentrer sur mon sempiternel projet de roman, puis l'intérêt s'est estompé et je me suis retrouvé si loin de mon clavier, si loin de mes pensées habituelles qui se transposaient presque toutes seules sur mon blog. J'ai gribouillé quelques petits textes sans grand intérêt dans mon cahier, noté quelques idées, fui chaque moment où j'aurais dû écrire pour faire autre chose, n'importe quoi pourvu que ça ne soit pas productif.
Et là, le besoin d'écrire me chatouille les doigts depuis quelques jours.
Beaucoup n'écrivent que lorsqu'ils vont mal. Pour ma part, j'ai besoin d'un équilibre précaire. Certaines facettes de ma vie virent à la catastrophe, mais d'autres illuminent mes journées et promettent beaucoup de bonheur supplémentaire.
Je n'ai plus envie de m'éterniser sur un sujet. Bien écrire, c'est dire le plus possible avec le moins de mots possible en recherchant le mot juste, la formulation la plus précise et l'image la plus forte.

Depuis mes dix-huit ans à peu près, je figurais sur un site de rencontre au design horrible et aux usagers souvent douteux. J'y ai rencontré des amis, de bonnes connaissances, des personnages insolites et des pervers sordides. Et aussi quelques rares personnes dont je garde un bon souvenir de nos rendez-vous. Et récemment, quelqu'un de très bien. Pour bien faire les choses et me sentir mieux, j'ai supprimé mon profil. Après sept ans, j'ai avais les doigts tremblants au moment d'appuyer sur supprimer mon profil. À la seconde même où j'ai lâché le bouton de la souris, j'ai senti une tonne d'encombrements s'envoler de mes épaules.
Se savoir présent sur un marché de viande fraîche comme celui-là, ça gruge beaucoup plus d'énergie que je le pensais. J'aurais dû faire ça avant pour me libérer, mais je n'aurais pas connu toutes ces personnes qui ont a leur façon marqué ma vie. J'aime donc croire que j'attendais le bon moment.

Pendant mes courtes études en création littéraire, j'ai eu la chance de suivre un cours avec Anique Poitras. Certains se rappellent tout de suite de La lumière blanche ou Le roman de Sara, d'autres auront besoin d'un comparaison: Vers la fin des années 1990, Le roman de Sara était un bestseller au Québec, un équivalent (en popularité seulement) de Twilight, mais aussi un superbe ouvrage écrit par une écrivaine de grand talent. Et fort sympathique, de surcroît. Bref, je ne suis pas là pour faire la promotion de son oeuvre. Mais si vous ne connaissez pas, vous devez vous y mettre. Dans le cadre de son cours, j'ai eu à écrire une partie d'un roman jeunesse. Mon personnage m'est venu d'une paire de souliers vernis. Ils semblaient sortir d'une autre époque et avoir parcouru le monde d'une petite fille unique. J'ai fixé ces petits bouts d'histoire, puis j'ai fermé les yeux un moment et je les ai imaginé marchant sur une pelouse, puis dans un orphelinat et j'ai ainsi rencontré Ophélie.
L'histoire que m'a inspiré cette enfant spéciale fut, sans vouloir me vanter, l'une de mes plus réussies. Et récemment, j'ai repensé à ce récit, à ma fillette invisible et à celui qui voulait l'adopter, à ses aventures aussi introspectives qu'éclatantes. Certaines idées s'enfouissent si loin qu'on les croyait perdues, puis elle surgissent du néant, revues et améliorées par un inconscient cachottier. On pourrait aussi croire qu'il faut simplement attendre le bon moment pour s'y consacrer à nouveau.

À quelques reprises, j'ai mentionné l'expression «boucler la boucle». Il faut parfois y revenir à deux, trois ou cent-soixante-huit reprises. L'important, c'est de boucler ce qui n'a plus de raison d'être. J'ai donc travaillé trois fois pour le même employeur avant de sentir que le moment était venu de faire mes adieux pour de bon à cette occupation ordinaire qui me revenait toujours. J'ai voulu changer de coupe de cheveux des dizaines de fois pour finir avec exactement la même tête que la fois précédente, puis j'ai changé de coiffeuse et j'ai laissé mon ancien style capillaire loin derrière. Je me suis tourné vers cette personne émotionnellement indisponible des centaines de fois pendant plus de cinq ans, jusqu'à ce que nous réussissions enfin à tout mettre au clair et tuer la tension inutile qui nous liait toujours même lors de nos absences. Mon ex-emploi me paraît déjà si lointain, mon ancienne coupe appartient à un ancien moi, cette vieille relation pleine de silences et de souffrances me semble maintenant inconcevable. Toutes ces histoires m'ont toutefois amené là où je suis. Je devais simplement attendre le bon moment pour les boucler et passer au chapitre suivant.

Je me remets donc au bloggage. Ni pour boucler la boucle, ni pour passer à autre chose. Parce que le besoin d'écrire est de retour. Parce que ça fait du bien d'écrire quelque chose avec un but. Parce que parfois, je vois le monde de travers et tout me semble plus sain une fois écrit.

vendredi 19 juillet 2013

Chronique d'un festivalier 4

Tel qu'annoncé, je ne m'éterniserai pas dans ma mini série de textes portant sur mon expérience de festivalier. Le dernier spectacle datant de déjà presque une semaine, le sujet deviendra vite périmé.
Ce qui ne se démodera pas, c'est l'agacement vécu dans certains concerts.
J'ai pu voir neuf groupes ou artistes solo en une semaine, et chaque fois j'ai rencontré une catégorie d'individu qui ne manque pas de couleur. Malheureusement, ce n'est pas la bonne teinte.
En d'autres mots, à chaque spectacle, certaines personnes n'étaient visiblement pas à la bonne place.
Pendant que Stevie Wonder se livrait à un message politique et idéologique savoureux, un petit groupe d'hurluberlus derrière moi criaient son nom, s'époumonaient en des sons discordants et se demandaient ensuite ce que le chanteur voulait dire. Ils ont donc passé un concert entier à crier pour rien par-dessus une foule qui voulait planer en souriant béatement, à détonner avec leurs t-shirts de groupes de heavy metal, à bousculer tout le monde, à traiter tous leurs voisins de cons et à tout faire sauf écouter une légende vivante (même très vivante: même son âge avancé et diverses maux physiques n'ont jamais eu raison de l'entrain et l'éveil d'esprit de Stevie Wonder).
Quatre heures durant, toutes les personnes autour les ont foudroyés du regard. Certains les ont insultés, d'autres se sont contentés de maugréer tout bas. Au final, ils ont gâché l'ambiance pour vingt personnes, en plus de passer une soirée là où ils ne pouvaient vraisemblablement pas avoir de plaisir.
À moins que ce ne soit justement leur but? Pourquoi donc vouloir affronter la foule, se tenir immobile pendant quatre heures et entendre de la musique qui ne leur plaît pas, si ce n'est que pour le simple plaisir de déranger? J'en viens à espérer qu'ils en tirent une quelconque satisfaction, question de donner un peu de sens à cette situation aussi désagréable que difficile à comprendre.
Ces spécimens ne furent pas les seuls de la semaine. Pour Ellie Goulding, Bruno Mars, MGMT, Weezer, Diamond Rings, Zaz ou Raphael Saadiq, il se trouvait toujours un petit groupe d'irréductibles gaulois. Pour les artistes occupant la première partie d'un autre, le phénomène est moins surprenant. Beaucoup préfèrent arriver tôt et endurer un groupe qu'ils n'aiment pas pour pouvoir ensuite bénéficier de meilleures places pour leurs musiciens préférés. Mais pour les gros noms? Pourquoi aller voir Bruno Mars, Weezer ou Stevie Wonder lorsqu'ils attireront assurément une foule immense, qu'ils ne nous plairont pas davantage qu'à la radio, qu'ils ne se tairont pas si quelqu'un n'aime pas ce qu'ils font, alors qu'on n'aime pas ces artistes à la base?
Ces gens doivent être soit masochistes, soit sadiques Ils s'infligent des heures de musique déplaisante (selon leurs goûts en la matière) et un bain de foule indésirable. Ils imposent aux autres leur présence dérangeante, leurs commentaires désagréables, leur odeur parfois nauséabonde, leur style trop contrasté à la foule et leur ignorance immense.
Qu'ils aiment souffrir ou faire souffrir, je ne peux pas m'empêcher de juger ces personnes qui ne sont manifestement pas au bon spectacle. Leur temps est-il si peu précieux qu'ils peuvent se permettre de le dépenser de la sorte?

Ma semaine de festivalier m'aura donné beaucoup de bons souvenirs, en plus de ces incongruités de la nature humaine qui m'auront inspiré quatre articles. Et malgré tous les accrochages avec le côté désagréable de l'humanité, je me sens très satisfait de mon expérience de spectateur.

lundi 15 juillet 2013

Chronique d'un festivalier 3

Le Festival d'Été de Québec a pris fin hier soir. Rappelez quelques artistes en urgence, je n'ai pas fini de publier des textes!

Sans blague, je suis aussi déçu que soulagé par la fin de cette série de spectacles. J'y prends très facilement goût et j'irais donc en voir tous les soirs si je le pouvais. Heureusement, ce besoin s'atténuera avec le temps et je ne devrais pas perdre la raison par manque de concert.
Et de toute façon, je suis tout de même un peu content de cette fin. Je ne crois pas que j'aurais pu baigner dans la foule une soirée de plus sans assassiner quelques personnes.
Pour la plupart, un assassinat ne constitue pas la meilleure solution. Car bien que certains devraient être éliminés pour le bien de l'humanité, beaucoup dérangent malgré eux. Ou presque.
Ceux-là mesurent six pieds ou davantage (pour les gens préférant le système métrique, plus de 1,80m) et jouissent d'une vue imperturbable sur la scène. Malheureusement pour tout le monde derrière, car ils obstruent ainsi leur champ de vision, les condamnant à adopter des poses parfois singulières pour y voir quelque chose.
Et encore, une seule grande personne ne pose pas tellement problème. À la limite, on laisse un petit espace derrière elle et tout le monde peut jouir du spectacle. Certaines nous offrent même gentiment de se déplacer de quelques centimètres ou de leur faire signe si elles nous empêchent de voir les artistes.
Le problème se présente lorsque ces grandes personnes se multiplient. «Qui se ressemble s'assemble», comme on dit. Le géant viendra donc se placer juste devant nous avec son groupe de cinq ou six géants de grande taille. Quinze personnes au moins ne verront plus rien, puisque aucun espace suffisant ne restera entre deux têtes en altitude.
Même, les géants peuvent parfois se nuire entre eux. Devant un grand, un groupe de géants l'empêchent de voir la scène, ce qui ne manquera pas de surprendre le spectateur habitué à dominer la plèbe de grandeur moyenne. Et si devant ce grand, un autre grand se trouve un peu décalé, les gens derrière doivent redoubler d'ingéniosité pour espérer entrevoir la scène furtivement de temps à autres, lorsque l'un des êtres démesurés se déplace.
Mais les gens dépassant la moyenne d'une tête environ ne sont souvent pas conscients du problème qu'ils causent. Pour eux, ils sont toujours de la même hauteur et si cela ne dérange pas ailleurs, il n'y a aucune raison de s'en faire.
Et puis viennent les grands méchants. Ceux qui arrivent juste au début du spectacle, alors que le champ de vision était parfait pendant une heure ou deux d'attente et qu'on se disait que c'était si bien comme ça. Ils fendent la foule et s'arrêtent juste devant nous, même pas dix centimètres à gauche ou à droite mais bien centré pour que tout ce que l'on puisse voir, c'est un dos un peu humide. Ils s'installent, regardent autour et même derrière eux. Ils nous lancent un regard de haut et se retournent vers la scène, conscients des jurons qui se multiplient derrière eux.
Vient le moment où moi ou l'un des dix petits des alentours lui tapote gentiment l'épaule pour lui demander de se déplacer d'un demi-pas de côté. Ce à quoi ils répondent qu'ils ont le droit d'être là comme tout le monde. Et si vous avez le malheur de leur signaler que dix personnes sont privées du spectacle et ne peuvent pas se déplacer pour trouver un meilleur angle, ils vous envoient promener.
Ajoutez à cela que ces géants désagréables poussent tout le monde pour arriver, se promener entre leur emplacement et les toilettes et le stand de bière le plus proche et aussi pour partir. Ajoutez aussi qu'ils risquent fort bien de tenir leur appareil à bout de bras, de s'étirer, de sautiller, se se pencher pour hurler à l'oreille des leurs amis, de vous asséner des coups de coude pas toujours involontaires en plein visage et même de vous reculer dessus et vous faire chuter entre vos voisins de derrière.
À chaque fois, on se dit qu'il devrait y avoir une section réservée aux gens démesurément grands et une autre pour les très petits. À chaque fois on ne pense pas que des petits, des moyens et des grands pourraient vouloir être ensemble. C'est une impasse.
D'ici à ce que quelqu'un trouve une solution aux problèmes de champ de vision, je me retrouve à avoir envie de leur couper les jambes, leur donner des coups de bat de baseball sur la tête jusqu'à ce qu'ils rapetissent ou leur grimper sur les épaules.
Et d'ici là, je dois me tenir sur le bout d'un pied en espérant me grandir assez pour y voir quelque chose et je me tiens si peu droit que je vois le monde (et le spectacle) de travers.

samedi 13 juillet 2013

Chronique d'un festivalier 2

Ma série de textes inspirés du Festival d'Été de Québec sera certes courte, mais d'autant plus forte quant à mon besoin de l'écrire.
Après les différents types de gens désagréables qui se fraient un chemin parmi la foule, je ressens le besoin d'exposer un autre genre de représentants de la connerie humaine: les extensions humaines de leur technologie.
Les quoi?
Je les décrirais surtout comme des accros aux gadgets technologiques. Ces gens effacent le peu de personnalité dont ils pourraient faire preuve pour se consacrer à la constante mise en valeur de leurs possessions électroniques. Ils additionnent les façons de les contacter (mais ne s'intéressent pas à ce qu'on veut leur dire) et multiplient sans cesse les plate-formes pour s'exprimer (bien qu'ils n'aient absolument rien à dire).
Nous les retrouvons partout. Sur Facebook, ils nous harcèlent de statuts sans intérêt, sur Instagram ils publient des photos filtrées de leur repas, sur Blogger ils écrivent (avec un maximum de fautes) des inepties sur leur voiture ou la caissière bête du Walmart. Ils exposent à grande échelle la banalité de leur vie, le manque de profondeur de leur pensée.
Et maintenant, comment les reconnaît-on pendant le Festival? Ils arrivent pile à l'heure du spectacle ou même un peu après, bousculent tout le monde et cherchent le meilleur endroit pour que leur appareil capte le spectacle. Ils passent ensuite quatre heures à tenir à bout de bras leur cellulaire, leur appareil photo, leur tablette, leur caméra microscopique, leur iPod ou n'importe quel bidule désuet dans six mois.
Non seulement obstruent-ils le champ de vision de trente personnes derrière eux, mais ils assènent des coups de coude au visage de leurs voisins. Et par-dessus tout, ils ne profitent absolument pas du concert. Obnubilés par l'idée d'enregistrer des souvenirs qu'ils ne vivent pas pour justement pouvoir les enregistrer, ils ne regardent pas la scène. Ils consultent leur écran de temps à autres pour s'assurer que la lentille est toujours dirigée vers là, mais n'applaudissent pas, ne crient pas, ne chantent pas, n'écoutent même pas. Après tout, ils pourront revoir le concert à l'infini une fois à la maison.
Faux. Non seulement l'image pixelisée a pris un poteau éloigné comme point focal et rend les artistes flous, mais le son se résume à un bourdonnement parsemé de cris stridents. Du spectacle qu'ils ont manqué en y étant, ils ne garderont aucun souvenir et devront se rabattre sur ceux des journalistes équipés pour le faire.
Et de toute façon, voulaient-ils vraiment profiter de la performance offerte? Voulaient-ils plutôt publier leurs vidéos ou leurs photos sur les réseaux sociaux pour prouver au monde entier qu'ils y étaient. Car ils se sont bien tagués sur les lieux à leur arrivée. Ils désirent montrer à tous qu'ils sont cools et qu'ils réussissent à assister à de gros évènements, à des spectacles qui parfois marquent une génération.
Et au fait, comment peuvent-ils commenter le concert alors qu'ils n'y ont pas porté attention?
Cherchent-ils à se prouver qu'ils ont une opinion en se forçant à publier à ce sujet sur les réseaux sociaux?
Veulent-ils prouver aux autres qu'ils ont leur point de vue?
Désirent-ils prouver leur existence en la rendant entièrement disponible (et même embellie ou gonflée) sur Internet?

En les regardant, je ne suis pas le seul à voir le monde de travers.

mercredi 10 juillet 2013

Chronique d'un festivalier 1

Du début à la moitié de juillet, la ville de Québec devient une énorme scène musicale envahie par une foule aussi grande que dépareillée.
Le Festival en soi ne manque jamais de me charmer. Des spectacles prometteurs, de gros noms, d'énormes noms, de plus petits noms, du beau temps et deux laisser-passer partagés avec mes parents; décidément, rien ne pourrait me gâcher cette si belle période de l'été. Ou presque.
Parmi la foule immense de la plus grande scène (celle sur les Plaines d'Abraham) et même dans les foulettes des plus petits rassemblements, il existe une catégorie singulière d'individus intrigants.
Les poussoirs.
Vous venez de marcher quarante minutes au gros soleil, en skinny et avec un sac à dos rempli de bouteilles d'eau. Vous en videz une devant le Parlement en saluant une Pauline imaginaire. Vous replongez dans ce bain humain à remous multiples, vous laissant porter par le mouvement comme une truite jusqu'à ce qu'on fouille le dit sac à dos. Après avoir assuré au préposé qu'il ne s'y trouve ni objet tranchant, ni bouteille dure, ni alcool, ni drogue, ni parapluie, ni tente, ni chaise ultrapliante, ni bébé mort, ni brique et ni arme à feu de type mitraillette, vous aboutissez sur le site. Ou plutôt, derrière le site. Vous devez penser vite, tenter de déterminer le meilleur secteur d'après la topographie du terrain et la grandeur moyenne des festivaliers déjà en place.
Et finalement, au bout d'une bonne heure de transport et d'impression de frayer, vous y êtes. Non seulement vous avez une vue imprenable sur la scène, mais c'est bien LE spot. Celui où personne autour ne fume, où la moyenne d'âge des gens autour de vous dépasse votre âge, où ça ne sent pas la pisse, où aucun géant ne risque de se planter juste devant vous. Vous avez même assez d'espace pour manger votre sandwich en paix.
Vous aimez votre emplacement et partagez cette pensée avec la personne qui vous accompagne. Erreur. Commenter votre emplacement activera le mauvais karma potentiel.
Non seulement vous vous retrouverez aussi enfumé qu'un saumon, mais un groupe de quatre grands gaillards viendra se planter un peu plus loin. Et ils bougeront tout au long du spectacle (tout comme la grande fille avec un chignon de quarante centimètres sur la tête) pour s'assurer de bien obstruer le champ de vision de tout le monde derrière eux.
Et lorsque vous envisagez de changer de place pour y voir quelque chose, c'est déjà trop tard. Les pousseux arrivent. De chaque côté de vous et même entre vos amis et vous, de longues traînées de festivaliers traverseront la foule vers la scène ou vers le fond, mais jamais sur la longueur. Vous verrez passer plus de six fois la même personne, qui à chaque fois vous pile sur les pieds. Un hurluberlu fendra la foule avec un verre de vin rouge sans couvercle dans chaque main (deux jours plus tard, vous tentez toujours de nettoyer votre pantalon beige et vous vous consolez en pensant à feu le chemisier blanc de la fille devant vous). Les gens vous pousseront sans arrêt et vous maudirez l'instant où vous croyiez encore à la perfection de votre emplacement.
Pour calmer ma frustration, j'ai catégorisé les fendeurs de foule:
- Les poussoirs se trouvent toujours au début de l'interminable file indienne qui ne manquera jamais de passer trop près de vous.
- Les pousseux suivent cet éclaireur et s'assurent de bien continuer de déranger tout le monde autour en bousculant.
- Les toucheux vous flattent le dos au passage. Certains descendent vraiment trop bas dans votre dos, d'autres vous dérangent en vous effleurant à peine. Le mouvement est toujours aussi sensuel que déplacé.
- Les appuyeurs posent leur grosse main d'une épaule à l'autre en enfonçant bien dans le sable les personnes au bord de son chemin. Certains vont même jusqu'à arriver derrière vous, vous désaxer la colonne avec leur touche, vous contourner en se servant de vous comme pivot et vous relâcher au tout dernier moment en menaçant de vous entraîner avec eux.
- Les indécis arrivent de nulle part et ne vont nulle part. Ils arrivent et repartent avec un air tout aussi perdu. Je les soupçonne d'être les fantômes d'anciens festivaliers pousseux à la recherche de leur dernier poussoir.
- Les décidés/fonceurs sont les plus désagréables. Ils pourraient piétiner une vieille dame si elle avait le malheur de se trouver sur leur chemin. Ils plaquent tout le monde à la manière des joueurs de rugby. Ils jouent des coudes et vous dévisagent au lieu de s'excuser si vous perdez pied par leur faute et terminez votre chute la face dans le décolleté de la dite vieille dame du début de l'exemple. Si ça se trouve, ils défonceront la barrière et même la scène, rendus au bout.

Et malgré tous ces types de personnes qui ne savent pas respecter les autres en se déplaçant dans une foule, vous passez une excellente soirée. Après tout, c'est le Festival d'Été de Québec.
Même en vous faisant écraser par un rouleau compresseur, vous aurez la satisfaction d'avoir vu Weezer en concert extérieur et chanté Hash Pipe, Island In The Sun ou Say It Ain't So tout haut sans qu'on ne vous regarde de travers.

jeudi 4 juillet 2013

Passion motorisée

Sur le chemin vers la résidence familiale, je me suis retrouvé dans un embouteillage monstre. La situation n'a rien de surprenant à prime abord. Sauf que je me trouvais dans un dédale de petites rues de fin de banlieue, en plein milieu d'un dimanche après-midi.
Juste à côté d'un site touristique enchanteur, sur le long de la seule rue reliant les deux villes encadrant ce même site, des milliers de fouineurs gambadaient à pas d'escargot. Les voitures (pare-chocs à pare-chocs) roulaient à un fulgurant dix km/h et s'arrêtaient sans avertir pour pointer. Et des bras qui sortent du côté passager au risque de happer une vieille dame ou une poussette, j'en ai vu beaucoup.
Sur le joli gazon tout vert, des centaines de vieux chars gisaient là, en attente de reprendre la route en plein embouteillage infernal et déplacé. Des ornières partout, des canettes de bière et des croustilles semées ça et là. Comment tenter d'en mettre plein la vue avec une vieillerie bien conservée et polluante, alors que le panorama se gâche complètement pour l'occasion. Et les conversations qu'on y entend! Rien de ce qu'on y voit ou entend n'aide à redorer le portrait.
Malgré la pollution, les mots sans valeur et le ridicule de la situation, un tel cirque peut éviter la catastrophe et causer une bonne réflexion.
Si je me permets de décrire ainsi cette foire aux antiquités roulantes, c'est que j'y suis déjà allé à deux reprises, plusieurs années auparavant. Je suivais mon père, content de l'accompagner et de pouvoir le côtoyer un peu plus, mais horriblement blasé par l'exposition. Et mon père de s'arrêter à chaque modèle dont il rêvait quarante ans plus tôt, alors qu'il n'était qu'un gamin féru de gros chars sports. Il demandait aux vieux messieurs gris, bedonnants, sales et à moitié ivres les informations de base. L'année de fabrication, le moteur, quand la peinture avait été refaite, qui étaient les propriétaires précédents. Chaque pièce ressemblait davantage à la précédente qu'à la suivante.
Cette exposition m'a jadis fait ressentir ma traditionnelle peur du vide. J'avais peur de devenir comme ces vieux messieurs (considérant que mon père est poli et curieux, donc vraiment pas comme eux) et de parler du vide dans le vide. De faire graviter ma vie et mes loisirs autour d'une machine, un vulgaire objet auquel on a attribué trop de valeur, trop d'importance. Je me suis juré de ne jamais me laisser emporter par le tourbillon d'une passion si futile et matérielle, si dénuée de sens que je risquerais d'y laisser ma personnalité et mes idées.
Des années plus tard, je me retrouve à écrire tout le temps. J'écris, je pose, je dessine et j'explore l'art. L'art, qui m'inspire des émotions, des sens nouveaux, du rêve et de nouvelles idées. L'art, qui au final tient souvent dans un objet ou une image, qui se rapproche de ces vieilles voitures auxquelles des gens consacrent leur vie. Je ne me sens pas vide, mais je ne me sens plus si loin de ces collectionneurs et trippeux de chars non plus. Surtout lorsqu'ils me bloquent le passage pour me rendre chez mes parents, là j'ai presque l'impression d'en faire partie. Mais jamais tout à fait.
La passion brille aux yeux de celui qu'elle habite au point d'éclipser celle des autres. Il ne faut toutefois pas oublier que ces autres sont tout aussi éblouis par la leur.

dimanche 23 juin 2013

Megamix

Vous rappelez-vous ces megamix du début des années 2000? Ces blocs musicaux de cinq à dix minutes regroupaient parfois jusqu'à quinze ou vingt chansons, toutes arrangées pour en créer un nouveau, une sorte d'anthologie musicale pop. Pour ma part, celui d'environ sept minutes quarante-deux secondes de Britney Spears, à l'époque de Toxic, m'a suivi plutôt longtemps.
Je me lance donc comme défi de reprendre certains de mes textes et de les réinterpréter en un seul. Que puis-je créer à partir de Les coudes, Turn back time et Déclaration 2 (sur ces gens qui marchent trop fort)? Et aussi, quel autre sujet puis-je bien y ajouter pour faire davantage de sens?

Au bord du fleuve, les passants s'activent lentement (sauf les enfants) et crient, photographient et s'assurent de bien prendre toute la largeur du trottoir. Parmi eux, tu es là, à parler et photographier sans arrêt comme un vrai touriste japonais. Mais tu n'es ni touriste, ni Japonais. Je t'observe marcher, explorer, fuir les maringouins et t'émerveiller. J'aime te voir sourire devant le panorama exotique que devient mon paysage habituel.
À mes côtés, tu commentes les gens qui nous entourent. Un énorme cornet de crème glacée à la vanille enduite d'une généreuse couche de chocolat blanc à la main, tu ne sais plus où donner de la tête. Je n'ai qu'à garder un œil sur le dessert froid qui dégouline généreusement sur ton t-shirt de super-héros et t'informer de l'étendue des dégâts. Et toi, tu te mets à imiter le vieux qui marche devant nous. Il martèle le trottoir avec de grand pas si décidés et à la fois si stylisés qu'on dirait qu'il gambade. Les fourmis qu'il croise doivent paniquer et crier au séisme catastrophique. God save the Queen.
Tu l'imites et la crème glacée se répand sur tes vêtements, recouvre une partie de ton visage et fond à vue d’œil. Nous le regardons marcher si fort sans raison, juste pour se prouver qu'il existe puisqu'il fait du bruit ou pour replacer sa sandale hideuse. Et une fois ton imitation terminée, je te retrouve marchant lentement, sans bruit, sans éprouver la nécessité de défoncer le béton pour te prouver ton existence. Nous nous observons par regards en coin et ça nous suffit.
Et puis je regarde ton joli corps se mouvoir dans ce décor qui t'éblouis. Tes pieds qui ne savent plus où se poser et qui te font parfois trébucher, tes doigts collants qui tentent d'effacer les traces de ton dessert répandu partout sur tes vêtements, ta bouche encore plus collante qui me crie de l'embrasser, tes cheveux emmêlés qui ont su échapper à l'explosion de ton cornet, tes coudes. Ces coudes, ils ont su m'inspirer un joli texte et ils pourraient le faire à volonté. Tes coudes ne ressemblent à aucun autre coude, ils permettent d'articuler ce si beau corps qui bouge si bien et qui m'attire si tant. Tes coudes qui, de par leur nom, me font chanter Turn back time.
If I coude turn back time
Et ça repart. La chanson ne me quittera jamais. Derrière le monsieur qui devrait marcher avec des souliers en béton pour accentuer l'impact de son pas, devant le fleuve aux couleurs si franches, en pleine digestion d'une excellente glace chocolatée, aux côtés de quelqu'un de si attirant, de si attachant, Cher me harcèle encore.
J'essaie des anagrammes de cinq lettres, supposés effacer toute trace des chansons envahissantes. Malheureusement, je ne réussis qu'à y additionner d'autres chansons. En me disant «MERCI pour le CRIME», je me mets à intégrer Love is a crime d'Anastacia. Et lorsque j'entends le BRUIT de la TRIBU, c'est La tribu de Dana qui se mêle aux deux autres chansons.
Ma tête devient une véritable cacophonie, tellement que j'ai envie de miner le terrain avec la force de mes pas pour pouvoir exister plus fort que mon megamix improbable. Et puis l'un de tes coudes frôle mes côtes par accident, dans un effleurement plus sensuel que violent. Le silence se fait, je suis tout à toi, jusqu'à la prochaine chanson. Et même après.

jeudi 13 juin 2013

Ma routine temporaire

Depuis quelques semaines, je remplace une factrice dans un coin légèrement reculé de la campagne environnante. Mon contrat tire à sa fin et je sens que certaines clauses n'y figuraient pas.
Chaque matin, je dois me réveiller très tôt pour finalement partir un peu moins tôt et espérer arriver à l'heure. Ou du moins, à peu près. J'affronte un peu trop régulièrement la surprise des travaux routiers. Parfois, je me retrouve pris sur ma rue, ses deux extrémités donnant sur un immense trou au fond duquel une conduite d'eau a cru bon exploser ou creusé là, seulement pour justifier la multiplication des problèmes de circulation. Je me retrouve donc à parcourir deux kilomètres dans une direction opposée à ma destination, me prendre un café au passage et me stationner sur une autoroute habituellement déjà bondée à laquelle on a décidé d'ajouter le flux des deux seules autres autoroutes allant dans la même direction, mais dans différents secteurs. Selon les matins, j'arrive à l'heure, quinze minutes trop tôt ou une heure et demie plus tard. Chaque matin, mon niveau d'éveil et de stress varie tout en restant dans les scores élevés.
Chaque matin, je dois me freiner lorsque je trie le courrier. Peu importe la raison, je dois toujours attendre mon courrier à trier. Les trieuses discutent, se plaignent de maux de jambes, s'attroupent devant un client charmant, s'absentent ou se perdent sur une autre tâche. Alors je sirote mon café, je tente de trouver la véritable adresse de tous ces gens qui nous engueulent alors qu'ils ne donnent jamais la bonne adresse (comment savoir que par «9981b avenue du Pompier», cette personne voulait dire «18 rue des Pommiers»?), je classe les rares documents qui traînent sur mon classeur et je ne cesse jamais de consulter mon cellulaire, distribuant des salutations et des souhaits de bonne journée à mes amis. Et à chaque fois, je quitte le bureau de poste au moins trente minute plus tard que je ne le voudrais. Encore du stress.
Chaque jour, je vois défiler devant moi différents problèmes de transport. Sur une route sinueuse, étroite et dangereusement dans une pente constante, je croise d'énormes camions ou d'autres, plus petits mais qui en mènent beaucoup plus large, sans raison apparente. [Est-ce moi ou plus le pick-up est gros, pire est sa conduite? Ce n'est pas parce que tu peux passer par-dessus ta maison avec que tu dois menacer d'écrabouiller les autres autos, les trottoirs, les vieilles dames et les tracteurs qui se trouvent sur ton chemin]. Je croise aussi des rassemblements de papillons, des gangs organisés d'oiseaux, des nuées de moustiques, des tracteurs débordants de purin, des chèvres, des chevaux, des poussettes, des VTT, des motos, des chiens, des chats, des marmottes, des mouffettes, des enfants, des vieillards et pourquoi pas des truites, un coup parti.
Chaque jour, je vois tout ce monde s'activer ou se ralentir devant moi, fonctionner mieux en mon absence et me renvoyer à mon vide. Lorsque je ne me défonce pas les cordes vocales en voiture, je me mets à penser et à me dire que tout ce monde-là ne me laisse aucune place, aucun droit à l'existence. Alors même que je rends service aux résidents de cette petite localité, ils ne cessent de me barrer la route, me crier après, me claquer la porte au nez, me dire qu'ils aiment mieux celle qui passe d'habitude, m'avertir de faire attention la prochaine fois pour ne pas mélanger le courrier de toute la ville en envoyant tout n'importe où (je le redis: écrivez vos adresses comme il faut, sacrament!), me dénoncer de délits fictifs à ma très compréhensive supérieure, voire me menacer avec un fusil de chasse, tant qu'on y est.
Et puis viennent les touristes. Ceux-là se promènent pour la plupart à vélo sur des kilomètres de côtes dangereuses. Ils me font de grands signes d'aussi loin qu'ils peuvent me voir et me posent des questions parfois surprenantes. Au fin fond de la Côte-de-Beaupré, on me demande si Saguenay est bien loin, si l'intersection de telle et telle rues est proche (seulement une trentaine de kilomètres, deux villes plus loin), si je sais où demeure un certain Eurépide Tremblay (nom fictif) qui demeure quelque part dans la région, si je vends des timbres dans ma voiture, combien coûte l'envoi de telle lettre, telle carte postale ou tel colis vers les Pays-Bas, si tous les facteurs sont aussi jeunes que moi, pourquoi je n'ai pas le fameux petit camion sans portes identifié aux couleurs de la compagnie, voire quelles études j'ai dû réaliser pour en arriver là. Et malgré toutes les questions invraisemblables et mes réponses parfois confuses, ces touristes me permettent d'exister. Grâce à leurs questions parfois débiles, je suis utile, presque une mascotte locale, mais une référence approximative.
Dommage que mon remplacement s'achève. Je devrais peut-être me rediriger vers un kiosque d'information touristique. Ou un hôpital psychiatrique où recueillir quelques clients paranoïaques.
J'ai occupé déjà beaucoup d'emplois et j'en connaîtrai sûrement encore d'autres. L'avantage, c'est que chacun m'apprend non seulement une compétence particulière, mais une part de moi-même aussi.
À force de voir de petites parties du monde, je finis par me découvrir.

lundi 10 juin 2013

Turn back time

If I could turn back time
If I could find a way
Certaines chansons ne nous quittent jamais. Elles jouent en boucle toute la journée dans la voiture, au bureau et surtout dans notre tête. Chaque pas martèle leur rythme, chaque parole dicte notre point de vue.
Then maybe, baby, you'd stay
Ces jours où je me sens comme un chat sauvage avec Marjo, je glisse dans mon monde sans m'accrocher. Parce que cette chanson me parle d'amour et de liberté, parce qu'on ne m'apprivoise pas. Il faut me laisser aller, comme on m'a laissé venir au monde. Et alors je fuis tout ce qui se fuit et même plus. Le synthétiseur résonne en moi et me crêpe les cheveux de l'intérieur. Certains classiques nous influencent autant que ça.
If I could reach the stars
Ces jours où je me prend pour le plus beau du quartier, réchauffé par la voix sensuelle de Carla Bruni, je me sens torride. Je m'arme d'assurance et d'un charme emprunté. Les autres ne me voient pas si beau, pourtant je le sens presque, je me vois faire tourner les têtes et attiser le désir sur mon passage. Ma perception devient érotomane et je m'en fous. Du moins jusqu'à la prochaine chanson.
I'd give them all to you
Ces jours où je m'obsède pour sa sensualité, comme Axelle Red, je peine à détourner mes pensées de cette personne si spéciale. J'aime ses yeux, son odeur et ses gestes en douceur. Et bien d'autres choses. Ces jours-là, je ne pourrais absolument pas me retenir de lui sauter dessus au premier regard. Au diable ses vêtements et sa pudeur, je dois couvrir son corps de baisers. Je dois aussi tenir ce corps tendrement dans mes bras, l'observer bouger et m'émouvoir de ses mouvements, m'émerveiller de son attitude et ses manières, savourer chaque instant en sa présence. Ces instants me reviennent ensuite avec la chanson. Et aussi souvent sans.
Et depuis un certain temps, Cher me harcèle avec ses envies de remonter le temps. Je ne revivrais pas mon passé (pas plus que le sien!) et j'ai bien hâte de voir ce que me réserve la suite. Mais elle crie de sa grosse voix qu'il lui faut revenir et changer les choses, m'assurer qu'il reste. Même si pour moi, personne n'est parti.
Ça doit être l'âge, elle devient sénile et s'est convaincue qu'elle doit retrouver quelqu'un.
Moi aussi, je vieillis. Je me contente de garder les gens auprès de moi et de changer de disque de temps en temps. Ça évite bien des regrets, mais ça ne me donne pas un hit comme Turn Back Time.

mercredi 29 mai 2013

Les coudes

Tu m'as demandé d'écrire un texte sur toi, un texte à la vue de tous qui exprimerait ce que tu vaux pour moi, à quel point je découvre un nouveau monde en ta compagnie, comment je me laisse charmer et surprendre à chaque rencontre, où je nous vois nous diriger.
Tu m'as demandé un texte, alors que tu sais très bien que je travaille mal sous la pression, que je déteste qu'on me dicte quoi faire, que les directives n'existent pour moi que dans le but d'une transgression. Je n'ai pas voulu suivre ton conseil déguisé en demande, j'ai pris ma voie habituelle (l'entêtement) et j'ai bûché pour pondre un texte sur les cyclistes dangereux sur les routes de campagne sinueuses, sur les effroyables erreurs que je peux retrouver sur l'adresse des lettres et colis que je livre, sur l'absence de transition entre un printemps ordinaire et un été qui s'annonce différent, sur ma tête qui s'emporte encore à l'approche de la saison estivale, sur les escargots qui pullulent en ces temps pluvieux. Aucun de ces textes ne méritait une publication immédiate ici car aucun ne m'enflammait vraiment.
À l'opposé, l'une de nos divagations m'a marqué. Tes coudes. Je plaisantais sur le défi d'écrire sur tes coudes, mais l'idée ne me semble pas si farfelue, au final.
Que représente un coude? Oui, bien sûr, une articulation. Mais où commence et où se termine le coude? Porte-t-on parfois vraiment attention aux coudes?
J'ai vu une vieille dame jogger ce matin. D'abord frappé par ses souliers citron lime fluorescents, j'ai ensuite baigné dans la surabondance de son parfum et son désodorisant corporel. Une fois qu'elle m'a dépassé, j'ai vu ses coudes. Deux horribles plaques asséchées, ternes, bariolées de rougeurs et d'ombres, de peau pendouillante, deux raisons de porter des manches longues même à trente-cinq degrés. J'ai tout de suite tourné mes bras dans tous les sens pour vérifier l'hydratation de mes propres coudes. Je n'ai plus vingt ans, mais le tout peut encore se réparer, à force de crèmes hydratantes.
Et puis j'ai pensé à toi. Pas à cause des coudes, sinon le lien laisserait un peu à désirer. Non, j'ai pensé à toi tout bonnement, sans lien avec la dame découdée (on dit bien défigurée, alors j'ai adapté le mot. Vive les néologismes).
J'ai pensé à ta peau douce et généralement bien hydratée. Tes bras m'inspirent les caresses, l'étreinte enveloppante de la chaleur humaine souhaitée, la force naissante de notre lien. Tes bras n'évoqueraient pas ces concepts sans coudes.
Le coude, dans toute son innocence, reste indispensable aux bras. Ces derniers embarrasseraient leur propriétaire sans cette articulation, ils encombreraient par leur longueur extravagante, leur malléabilité restreinte et l'ampleur ridicule de n'importe quel mouvement. Les coudes ne sauraient exister sans des bras complets non plus. En coupant le haut du bras, on perd le coude et tout le reste. Une absence d'avant-bras ne l'empêcherait pas de terminer un bras, mais il ne pourrait pas bouger, faute de points d'appui pour les tendons.
Au fond, les coudes passent inaperçus et jouent pourtant pour beaucoup. Tout comme les moments simples que nous passons ensemble. Sur le coup, ils semblent anodins, mais nous ne développerions jamais de «nous» sans eux. Les petits instants articulent les grands, ils assurent une constance dans notre histoire et ils ne sautent pas aux yeux de tout le monde, même pas aux nôtres lorsque nous ne les cherchons pas.
Nous deux, c'est une histoire de coudes.
Je peux blâmer la fatigue, le soleil, les coudes affreux de la joggeuse ou le confort de tes bras, mais je vois encore le monde de travers.

dimanche 26 mai 2013

Clivage

Qu'est-ce que le clivage, me demanderez-vous? Rien à voir avec le terme anglais cleavage, désignant un décolleté.
Le clivage fait partie de l'élite des mécanismes de défense freudiens. Tout le monde s'en sert, alors on peut le retrouver assez rapidement en se penchant sur un cas. Bien sûr, rien ne peut battre le refoulement, mécanisme si commun que le terme en devient employé à toutes les sauces. Les connaisseurs s'entendront tout de même sur la valeur du clivage.
Ah, ce cher clivage! Il paraît tout simple, mais se révèle d'une complexité parfois absurdement démesurée. En résumé, il est l'action inconsciente de séparer des parties de soi pour éviter de gérer les incongruités. Il se manifeste souvent par des phrases du genre «Une partie de moi est X, mais une autre est aussi Y». Ce faisant, les deux concepts contradictoires ou du moins incompatibles en apparences peuvent cohabiter dans une personnalité scindée en deux «côtés» distincts.
Le clivage ne se fait pas que de façon inconsciente, il apparaît évident lorsque nous observons une autre personne. «Il est si intelligent, mais il lui arrive de temps en temps d'agir en stupide» «Il est gai, mais il sait aussi faire le changement d'huile de son pick-up». Ça ne semble peut-être pas si clair. Il s'agit seulement de séparer les deux concepts qu'on ne veut pas faire coïncider.
Ce qui m'amène à mon propre cas. Une personne (fine observatrice avec de belles fesses en plus) m'a fait un drôle de compliment, tout récemment: «Vous êtes davantage un esprit qu'un corps».
Je vous laisse digérer la phrase. Pour moi, ce n'est pas encore fait.
Ce que cette personne voulait dire, c'est qu'on peut prioriser sa tête ou son corps, mais pas les deux. Les gens qui s'intéressent à mon physique ne remarquent peut-être pas ce qui m'est le plus cher chez moi. Ceux qui ne me voient pas mais me lisent ou m'entendent se tournent vers ce que j'aime le plus valoriser.
Peut-on être les deux à la fois? Certainement. Enfin peut-être. Est-ce que les besoins physiques imposent leur loi à la pensée, ou bien cette dernière gouverne et manipule un corps sans contrôle? Et s'il existait un entre-deux, un locus de contrôle dirigé autant par l'un que par l'autre?
Un mécanicien peut être gai et en être conscient alors qu'il travaille sur un moteur de char. Un génie peut être nul dans certains domaines et s'y voir confronté dans l'exercice de son génie.
Alors puis-je être un corps autant qu'une tête?

vendredi 24 mai 2013

Déclaration 15

Bon, encore une déclaration d'amour à quelque chose d'inanimé, d'insensé ou d'étrange.

J'aime la pluie.
Oui, j'admets que ma déclaration sonne commanditée par Météo Média.
Ces derniers jours, je travaille à l'extérieur, bravant les intempéries, les chauffards, le stress, les adresses écrites en microscopiques caractères et les animaux divers traversant la chaussée (chevreuils, lièvres, canes, petits oiseaux insignifiants, marmottes, chiens, chats, chatons, hybrides de chat et de raton laveur, vaches, personnes âgées, prochainement des rhinocéros si l'espèce ne s'éteint pas d'ici la semaine prochaine). Ces derniers jours, il pleut à peu près tout le temps.
N'importe qui de sain d'esprit n'aime pas travailler à l'extérieur lorsque le temps pluvieux jouit de sa toute-puissance. Je dois avoir perdu la tête quelque part.
Ce que j'aime de la pluie ces temps-ci, me demandez-vous? J'aime que cette pluie me harcèle sans cesse car elle me rappelle que je sors enfin de mon trop long moment sans emploi. Elle s'assure qu'à chaque minute, je me sente privilégié de pouvoir exercer ce métier, heureux de recevoir un salaire pour faire autre chose que rester chez moi à ne pas dépenser. Elle me garde en contact constant avec la réalité, la fatalité d'éléments que nous ne pouvons pas contrôler et les réactions singulières de ceux qui s'y exposent.
Avez-vous déjà vu un VTT muni d'un habitacle fait maison avec des 2X4 et de vieilles planches de contreplaqué? Un vieux vêtu de pantalons imperméables agrémentés d'un immense poncho jaune fluo et d'un chapeau en forme de parapluie au motif du drapeau fleurdelisé? Les gens qui sortent de la maison par temps pluvieux imitent aussi très bien les petits animaux qui tentent de traverser la route: ils courent, mais seulement pour mieux se faire prendre.
J'aime aussi le petit frisson que causent les vêtements mouillés à chaque mouvement. J'aime oublier l'inconfort afin de poursuivre mon travail, tenter d'en faire abstraction pour mieux organiser mes pensées et chanter de vieilles chansons vraiment fort dans mon auto alors que je frise autant que Diana Ross. Je me sens aussi moins facilement déshydraté dans un environnement si humide.
N'allez pas croire que je préfère la pluie au soleil. J'aime bien les deux. Seulement, déclarer aimer la pluie fait plus original.

Note: Ne chantez pas I'm singing in the rain pendant la saison de l'épandage du fumier. Vous risquez de vomir les paroles et d'énerver les personnes environnantes avec cette chanson usée.

mardi 14 mai 2013

Homme cherche emploi


Aujourd'hui, j'ai tout mis en œuvre pour éviter des tâches devenues très urgentes. J'ai profité d'une explication à rendre à ma fréquentation pour étirer le sujet, pour lui livrer le fond de ma pensée et m'assurer que nous ne nous levions pas trop tôt, ou du moins pas assez tôt pour me permettre d'aller à la chasse à l'emploi encore une fois.
Jadis, j'aimais presque ce processus de distribution des curriculum vitae où je n'avais qu'à sélectionner deux ou trois établissements intéressants, leur laisser mes deux pages de résumé sur mon parcours professionnel et de formation, puis attendre les deux ou trois appels pour une entrevue, bien entendu tous venus dans les trois jours. J'allais alors à chaque rendez-vous pour transpirer l'honnêteté devant les recruteurs tout en leur fournissant les réponses qu'ils voulaient entendre. Il ne me restait plus qu'à attendre le dernier appel, celui m'indiquant les conditions de travail, l'horaire estimé et le salaire. Je n'ai toujours offert mes services qu'au plus offrant, laissant les autres trouver un candidat moins intéressant que moi.
Depuis, les choses ont vraiment changé. La plupart des employés à qui je remets mon CV me servent leur air de «je n'ai pas que ça à faire, visiblement tu ne représentes pas ce que nous recherchons alors disparais». Plusieurs roulent les yeux et me font sèchement savoir que je dois aller sur leur site Internet, répondre au test de personnalité, y télécharger mon CV ainsi qu'une lettre de présentation, résoudre l'énigme du sphinx, faire trois tours sur moi-même et attendre patiemment qu'un poste répondant à mes qualifications s'ouvre. Et lorsque je leur signale qu'une énorme affichette dans la vitrine prétend à un besoin urgent de personnel, on me dit encore plus sèchement que je dois respecter la procédure. Intérieurement, je leur réponds avec l'amabilité d'une pelletée de sable qu'ils peuvent bien se les mettre où je pense, leurs procédures compliquées. D'autres me semblent plus gentils et prennent mes deux petites pages de papier recyclé avec un joli sourire tout en me signifiant que le poste affiché a malheureusement déjà trouvé preneur, mais qu'ils me rappelleront dès qu'ils en sentiront le besoin, après tout le nouvel employé pourrait ne pas convenir et ils sentent que je ferais bien l'affaire. Ils ont aussi tendance à me saluer avec un encore plus grand sourire et souhaiter de me revoir bientôt. J'aime mieux ceux-là.
Au fond, si le processus de recherche d'emploi me décourage tant ces derniers temps, tout cela découle du fait que je ne pense pas pouvoir continuer dans ce type d'emploi trop commun.
J'ai envie d'aventure, d'incertitude, de liberté, de libre-pensée, du sentiment d'avoir une place unique, d'effectuer un travail irremplaçable et de savoir que je pourrai remplir mes tâches sans piétiner mes principes. J'ai envie d'un emploi moins typique, de sortir des sentiers battus, voire devenir mon propre patron. Je ne peux plus supporter les horaires changeants et si prévisibles à la fois, le salaire cruellement inférieur à l'apport que mon travail procure à la compagnie, les collègues interchangeables par centaines, les clients tarés, l'empêtrement dans un dédale de procédures inutiles, l'étouffement des règles bidons, la structure interminable de la hiérarchie organisationnelle, les problèmes de paie qui prennent des semaines à se régler alors que j'ai tant de paiements à effectuer, les demandes saugrenues des patrons débiles et débilitants, le sentiment de ne rien apporter au monde qui se confirme à chaque quart de travail qui de toute façon ressemble à s'y méprendre au quart précédent et au suivant.
Je me sens prêt pour un nouveau défi, pour sortir enfin de cette structure capitaliste hiérarchisée qui ne mène plus à rien car les plus grandes entreprises se plantent toutes en chœur, les petites organisations ont la cote et les travailleurs n'en peuvent plus de subir les affres d'un système désuet depuis une bonne quinzaine d'années.
Si ça se trouve, j'irai planter des arbres à l'autre bout du monde, je réviserai des scénarios de films ou je rédigerai des textes pour chaque concours littéraire existant.
D'ici là, je boude tout en cherchant l'une de ces trois opportunités.

lundi 13 mai 2013

Déclaration 14

Comme je ne tenais pas non plus à abandonner totalement ma formule «déclaration», je prends une pause de ma pause l'instant d'une petite récidive.

J'aime rire.
Qui n'aime pas ça? Oui mais pour moi, ça signifie quelque chose.
Je connais plusieurs types de rire. Certains sont anodins, d'autres plutôt forcés ou demandés et les derniers viennent des entrailles et sortent en éclats.
Des rires sans histoire, nous pouvons tous les compter par milliers. Ils surviennent lorsqu'une vieille dame fonce directement sur une fenêtre, lorsqu'un vieux monsieur qui passe par là a la perruque de travers, lorsque nous entendons une conversation idiote juste à côté ou lorsqu'un chat fait son mignon. Ils viennent et disparaissent aussi vite, somme toute très peu marquants.
Les rires forcés découlent souvent d'une obligation ou d'un malaise. Un humoriste fait une blague qui tombe à plat, puis les multiplie et on se sent obligés de rire pour éviter le malaise. Quelqu'un dit quelque chose du genre «Non mais tu ne croyais pas vraiment que la Tunisie était en Asie» et on rit nerveusement sans oser avouer que si, ce nom sonne très asiatique et qu'on revoit finalement la carte du monde et la découpe des continents parce que décidément, ça ne colle pas avec le reste de l'Afrique. Un patron tente de faire un brin d'humour mais il y échoue lamentablement alors nous rions poliment pour rester dans ses bonnes grâces tout en le maudissant intérieurement d'exister et de nous pourrir la vie parce que déjà un emploi au salaire minimum c'est chiant, en plus on n'a pas à endurer un tel con et s'abaisser à son humour débile. Bon, vous voyez le portrait là.
Heureusement, il y a le troisième type de rire.
Hier soir, j'ai passé quelques heures à me ventiler les tripes et rire à en perdre la voix. Bon, ma voix n'est pas si difficile à briser, mais quand même, je me suis vraiment amusé. Ma soirée fut simple, avec cette amie tout est toujours simple et nous laissons nos cerveaux s'emporter dans les pires délires et nous rions si fort qu'elle en a recraché son lait d'amande non sucré par le nez. J'ai ri au point de manquer d'air et produire des sons grinçants incontrôlables. Nous avons ri de voir l'autre rire, ri de ne plus se rappeler le déclencheur de cette hilarité croissante. Ce rire provient de la connexion entre elle et moi, des liens douteux que nous établissons entre des éléments disparates, des références boiteuses à des concepts souvent mal interprétés. Nos rires surgissent parfois avec les souvenirs, les gaffes et drôleries du passé.
Si nous rions tant, c'est que nous échangeons autant. Ainsi, l'amitié supplante pour moi n'importe quel spectacle d'humour, n'importe quelle malchance du quotidien.
Si j'aime rire, c'est parce que j'aime sentir une connexion avec certaines personnes.

dimanche 12 mai 2013

Ce texte n'est pas pour moi


Devant sa propre complexité, on ne sait pas par où commencer, dans quel recoin installer une base solide pour se hisser hors de ses eaux troubles, hors de la tourmente qui souvent revient trop vite, trop fort et toujours plus haute. Il n'y a pas plus fatal pour un esprit en construction qu'une personne aussi complexe que soi, quelqu'un au raisonnement scarifié, aux émotions travesties en pensées, aux réflexes dictés par un transfert souvent démesuré, dénaturé.
Ces derniers temps, j'ai rencontré une personne aussi blessée par elle-même, aussi coupée de l'humain normal que moi. Cet individu me ramène à mon trouble, me rend toujours plus conscient de mes cicatrices, de mes illogismes évanescents, il projette sur moi ses propres idées et je lui balance les miennes en plein visage et pourtant, malgré toute la douleur et le malaise avec nous-mêmes que nous nous causons, je réussis à le connaître et à voir au-delà de cette barrière du passé, à admirer son esprit créatif et sa vision sans cesse épatée de ces instants de magie que la plupart des gens ne remarquent pas, à l'écouter les yeux fermés pour laisser ses mots me raconter sa vie et ses expériences parfois traumatisantes, à vibrer devant son sourire qui semble sortir du néant et en devient alors encore plus beau car il n'est jamais forcé, à apprécier non seulement son corps mais surtout ses mouvements si peu filtrés par la raison.
Je m'abreuve de sa présence et à ses côtés, je sens mon trouble cesser sa croissance et me laisser respirer un brin. L'image est sa passion et pour faire écho à ses propos, son image me plaît et pour une fois, l'image de moi qu'il me renvoie ne m'importe peu.
J'ai passé tellement de temps à m'observer par les yeux des autres, à chercher à les émerveiller tout en m'y perdant et à fuir lorsque j'y parvenais. À chaque fois, je me décourageais devant quelqu'un qui se laissait prendre à mon jeu, qui se faisait une image de moi selon ce que je désirais projeter, qui y croyait et ne voulait pas me laisser partir, à chaque fois je fuyais, dégoûté par cet autre qui ne m'appréciait jamais vraiment pour moi, je me plaignais qu'une image vienne toujours supplanter mon vrai moi.
J'ai toujours dit qu'une personne ne peut espérer une histoire sérieuse avec une autre tant qu'elle ne peut pas être bien avec soi-même. J'ai passé quelques mois à me construire au-dessus de mes remous, à m'aimer petit à petit et coller à mon cerveau plutôt créatif, à me libérer des contraintes que je m'imposais en jetant le blâme de leur existence sur les autres, à me guérir de ces relations basées sur des barrières, des mystères ou des secrets, à maudire ces années passées à répéter le même scénario sans arrêt et parfois avec plusieurs personnes simultanément tout en cassant les oreilles de mes amis avec la même rengaine, à finalement accepter mon imperfection et tenter d'en tirer parti.
Je sais que cette personne me lit. Tu n'aimeras pas mon texte car il ne ressemble en rien à ce que tu voulais y retrouver; il ne dépeint pas notre relation et ne couvre pas d'éloges non plus. Mon texte est plutôt honnête, ancré dans ce que je sens en ce moment et libéré de mes habitudes stylistiques. Tu m'avais demandé un texte honnête et ce n'est que maintenant, en manque de caféine, moyennement reposé, las de me cloîtrer chez moi, trop bien hydraté et blasé d'écrire les échanges du fantôme d'une vieille dame et d'un jeune homme, que je suis disposé à farfouiller en moi à la recherche d'un bout de texte à t'écrire. Ce texte est bel et bien pour toi et inspiré par toi.
Pour une fois, je n'ai pas écrit pour moi.
Pour une fois, je me vois de travers en espérant que tu me comprennes.

vendredi 10 mai 2013

Timing

Le timing modifie le temps, là-dessus je ne dis rien de nouveau. Un après-midi, je mémorisais la scène remplie de touristes de cette chute d'eau trop connue. Tu y chassais les reflets, à la recherche du cliché monumental qui brillerait dans ton exposition à venir.
J'ai voulu te faire découvrir une plus petite chute, un site de quartier plus tranquille où personne ne te bousculerait alors que tu t'excites derrière ton appareil. Une fois installés au pied d'un rapide, sur de roches ultra glissantes, tu as vu cette fille agenouillée au bord de l'eau, un peu plus bas. À ses genoux, un jeune homme s'était cogné la tête, le dos, le coude, peu importe mais il ne bougeait pas et elle lui tenait la tête hors de la rivière, elle lui parlait pour éviter le coma, la mort ou juste pour passer son stress dans des paroles vides et bien moulinées.
Le temps s'est figé pour toi qui voulait savoir ce qu'il adviendrait du blessé, pour toi qui jugeait les badauds attroupés par ce peu d'action, tous immobiles, les bras croisés à ne pas réfléchir et se rincer l’œil de cet imprévu qui brise quelques minutes de leur monotonie permanente.
Le temps pour moi s'est ralenti et non figé. J'avais le temps d'écrire cent mots avant de me retourner et de retrouver exactement la même configuration d'acteurs que lors du coup d’œil précédent. J'avais le temps de t'imaginer te balader au bord d'une plage d'énormes cailloux, sous la douche d'un oasis tropical perdu dans une forêt de palmiers, n'importe où en fait, pourvu que j'y sois aussi et personne d'autre, juste nous au milieu de rien.
Sans ce timing pour arriver au moment même où les secours se sont mis à débouler la pente herbeuse, je n'aurais pas réalisé ce fossé perceptif qui nous sépare à notre insu. Toi qui viens d'arriver au pays, tu t'émerveilles et tu observes jusqu'à ce que tes yeux de gamin s'assèchent, moi qui y stagne depuis vingt-cinq ans avec le sentiment d'avoir tout vu, mais au moins je redécouvre souvent mon monde sous un nouvel angle, je te regarde regarder et tout redevient beau, tout reprend son éclat des débuts.
J'observe cet enfant intérieur et je m'y attache de plus en plus, je me dis qu'au bon moment, je l'ai croisé et je me suis retrouvé.

jeudi 9 mai 2013

La pelle

Quatorze déclarations ont le défaut de devenir lassantes. Je n'aime pas me contraindre à une formule prédéfinie et je varie donc un peu avant de repartir de plus belle dans mes déclarations. Après tout, j'écris bien autre chose.

La pelle à côté de moi y repose depuis au moins cent ans. La peinture écaillée s'est en partie couverte de rouille et de temps durs. Immobile, elle fixe la rivière sans suivre ses rapides et ses remous, après tout ce n'est qu'une pelle, ne lui en demandons pas trop. Elle attend que son propriétaire vienne la chercher ou que le monde s'éteigne, selon son humeur instable d'outil ancien.
Son histoire ne se raconte pas car qui voudrait entendre les profondeurs de la vie d'une pelle? Mais elle n'est pas qu'une vieillerie abandonnée sous un pont. L'un des côtés de sa partie métallique se recourbe sous le poids ou l'effort d'un traumatisme.
Peut-être a-t-elle été contrainte à enterrer un cadavre? Les remords la tordent de honte et de culpabilité. Elle a fermé les yeux tout au long de l'opération et se les ai caché avec ce rebord autrefois acéré.
Peut-être a-t-elle été blessée d'une brève histoire sans lendemain avec une roche. Sans s'y attendre, toutes deux se sont fracassées l'une contre l'autre, chacune en travers des plans qu'elles croyaient devoir suivre. Le minéral aura perdu un éclat de sa masse, cicatrice calcaire sans suture possible. Le métal de la pelle se sera blotti contre lui-même de peur de heurter un autre objet sans défense.
Peu importe le scénario, cette relique transmet sa gêne de ne pouvoir qu'être utilisée pour défigurer le sol ou toute forme rencontrée. Sa honte demeure alors que les millions de litres de la rivière passent sans soucis. Triste et tragique, elle laisse le temps couler et la frôler sans jamais l'emporter.
Elle en est sûrement venue à maudire la personne qui a voulu la sortir de chez elle. Les lointains souvenirs d'un râteau, une tondeuse et un marteau à l'oreille manquante lui reviennent. Ses copains de hangar ont pu poursuivre leur destinée, s'user aux mains d'un gros monsieur tout gris à l'haleine de Molson Dry tablette et Doritos au fromage. Elle n'aura pas cette chance.
Seule, elle ne représente plus rien qu'une époque révolue où elle fut utile, un vestige du passage d'un humain sans cœur qui a cru bon la sortir de son esclavage après une petite besogne en pleine nature. Cette pauvre pelle fut donc kidnappée, violée de ses droits pour enterrer un cadavre, puis jetée au milieu des bois comme une ordure.

Si je m'inquiète de cette pelle, c'est que nous ne sommes pas si différents. Je me sens seul devant un courant immense, incongru parmi quelques grosses roches et les restes d'un feu parsemé de bouteilles vides. Je contemple le temps passer en emportant tous les autres, sauf moi, sauf ces roches qui se laissent inonder sans broncher pour mieux refaire surface ensuite, lavées de leur attitude, leurs expériences foireuses et éphémères. Elles ne se rappellent sûrement même pas avoir fait partie de la rivière à un moment: après tout, ce ne sont que des agglomérations de minéraux sans cervelle (sans offense).
J'ai peur de contempler la rivière si longtemps qu'elle se sera tari avant qu'un idiot impulsif ne me jette à l'eau. Ma place n'est pas là, appuyé sur un pont à ne rien faire. Je devrais creuser mon chemin, modifier mon entourage, détourner un cours d'eau qui se dirige tout droit vers une chute mortelle et impitoyablement photographiée par des touristes qui n'en ont rien à cirer des souvenirs qui y sont précipités à chaque seconde.
Si la pelle est un outil, je suis mon propre instrument de labeur et de changement, l'instaurateur de ma propre destinée car moi seul sait comment me servir de moi pour le mieux. Ou pour le pire, selon mon humeur.
J'ai l'air d'un demeuré qui s'émeut devant une vieille pelle qui se dégrade. Au fond, je me regarde à travers cette image banale qui pour moi peut prendre n'importe quel sens.
Les images ne portent aucun sens, nous le faisons bien pour elles.

(Je ne réussis pas à mettre la photo du bon côté ici, alors qu'elle l'est normalement. Tournez-vous la tête et l'illusion sera parfaite)

lundi 6 mai 2013

Déclaration 14

Bon, un peu moins de temps entre mes deux textes, mais tout de même trop. Trop de jours à faire quoi? Vivre, rouler, dormir, bronzer au soleil inhabituellement chaud du début mai.

J'aime que le temps cesse de suivre son cours normal, juste pour moi.
Égocentrisme? Oui. Humilité? À quoi bon.
Le temps, personne n'y peut rien. Du moins, c'est ce qu'on croit, ce qu'on tente de nous graver dans la tête. Il faudrait le laisser passer sans rien dire, se réveiller vieux et se dire «Ah bon, il est passé, je passerai aussi», mais en fait ce serait s'avouer vaincu d'avance.
Le temps est subjectif, très subjectif même. Il ne change jamais de rythme, sinon la vie serait infernale pour tout le monde. Mais notre perception s'altère. Ces dernières semaines, j'accumule les plaisirs et je me fous de lui, il coule et je profite de son absence pour vivre. Loin de mes contraintes habituelles, de mon horaire prévu au quart de tour de force où je m'obstine à multiplier les retards juste pour me désobéir, loin du stress constant de manquer quelque chose ou de m'éterniser, loin des jours qui se ressemblaient tous, je me sens seul dans un monde de possibilités intemporelles.
De mon point de vue, j'ai enfin pris le contrôle du temps. Il me prend parfois l'envie de dévisager une horloge et de lui rire en plein visage, mais les gens autour risquent de craindre pour ma santé mentale. Déjà qu'au départ... Bref, là n'est pas le sujet. Je peux maintenant figer ou précipiter les secondes car je me suis libéré de moi, de mon désir d'emprise à la minute près sur ce qui de toute façon ne pouvait que m'échapper. Un son incongru d'une fraction de seconde se prolonge maintenant dans un écho inconscient où je m'interroge sur sa place dans mon univers, sur son impact et sa présence même. Une attente de trois éternités et quart chez le médecin se transforme en une scène de trente secondes entrecoupées par mes pensées, une sorte de pot pourri des meilleurs moments de cette salle d'attente.
J'arrive tout de même plus ou moins à l'heure là où on m'attend, là où je dois me rendre avant une certaine limite afin de bénéficier de ce qui m'y attend. La plupart du temps, je me laisse déconnecter du rythme humain qui ne sert qu'à nous couper de notre humanité.
Bref, j'aime bien avoir le sentiment d'échapper à une contrainte sociale écrasante. Plutôt que de vivre selon des barèmes imposés par tous et donc personne, je me concentre sur mes besoins, mes envies, mes obligations raréfiées. Je me sens libre.
Au final, j'aime ma nouvelle liberté. J'aime perdre les rênes auxquelles je tenais tant et me laisser aller. J'aime n'avoir de contrôle que sur ma perception du temps qui passe, entretenir l'impression de le modifier à ma guise.
Et pour reprendre mon ancienne signature, c'est à ce moment que je vois le monde de travers, encore.

mercredi 1 mai 2013

Déclaration hyper tardive 13

QUOI!?! Je viens de passer un peu plus de deux semaines sans écrire un seul mot ici, sans jamais me vider ce cœur dans ma tête sous forme de phrases confuses et publiées avant même d'être relues? Pfff, non mais qu'est-ce qui a bien pu me passer par la tête?
Plutôt que de me pencher sur cette épineuse question, je reprendrai là où je me suis arrêté.

J'aime l'indisponibilité.
Quoi? J'explique, ne paniquez pas.
Ceux qui me connaissent ont tous déjà rencontré mon cellosaure, un solide gaillard répondant au nom de Samsung a640 (voir la photo ci-jointe).

Un tel engin inspirait la technologie avancée lors de son achat, il y a environ sept ans. Au rythme où se développent les moyens de communication, mon appareil s'est vite démodé, au point où certaines fonctions sont devenues carrément inutiles par désuétude. Les appels fonctionnent, les textos entrent la plupart du temps et la batterie garde sa charge plus longtemps que la moyenne, puisqu'il n'y a rien de fastidieux à alimenter. Par contre, oubliez les photos, vidéos, smileys, caractères spéciaux, accents et textes de plus de 60 caractères, lesquels se divisent en cinq ou six morceaux arrivant dans un ordre très aléatoire et un temps indécemment long.
L'avantage de posséder un appareil si dépassé réside dans le fait de son incompatibilité avec les nouveaux appareils et l'usage abusif que les autres en font. Comprendre: il me fournit une excuse indiscutable pour ne pas être facilement rejoignable.
«T'as vu ma photo sur Facebook?» Non, je la verrai lorsque je serai de retour à la maison.
«As-tu eu mon message?» Oui, mais je sais que tu ne peux pas savoir quand je l'ai reçu et je n'ai ni le temps, ni l'envie de te répondre dans la seconde qui suit. Au pire, je ne l'ai vraiment pas reçu.
«Ça ne marche pas lorsque je t'envoie un message photo?» La qualité d'image se calcule en pixels et non en mégapixels sur mon téléphone. Même si je la recevais, ça deviendrait du cubisme.
«T'es fâché? Tu ne réponds pas vite.» Lorsque je dois appuyer huit fois sur une touche pour faire un 3, attendre une seconde pour y réappuyer deux fois et faire un E, puis cinq fois sur une autre pour un point d'exclamation, ne t'attends pas à ce que je réponde un texte de quatorze pages en relief dont une partie est en coréen. Je synthétise ce que j'ai à dire. Je te conseillerais de faire la même chose.
Ce qui me plaît le plus de Cellosaure (en fait, c'est son petit nom), c'est qu'il fait peur aux gens. Beaucoup n'osent pas me harceler, de peur de faire exploser mon engin préhistorique. Leurs options se résument aussi à un appel, un message vocal, un texto et un signal de fumée ou pigeon voyageur. Pas de Facebook mobile, Skype, feu MSN, Blackberry Messenger, ICQ (vintage, je sais!), sites de rencontres quelconques, Twitter, Hotmail, Gmail, Outlook, courriel ULaval, Tumblr et autres. Un téléphone sans Internet, et bien c'est un téléphone, pas un ramassis de façons de manifester sa présence sans vraiment avoir quelque chose à dire.
Donc, j'aime mon a640.
Ce texte se veut un hommage à cette vieille technologie captant presque le télégraphe, un cellulaire qui convient très bien à mon style de vie et mon indépendance envahissante.
N'empêche que parfois, j'aimerais pouvoir texter aussi vite que les autres...

dimanche 14 avril 2013

Déclaration 12

Mes textes se raréfient, mes idées se complexifient et je sens que la discipline d'écriture me manque.
D'un autre côté, je me tiens assez occupé.

J'aime l'assurance.
Et surtout, pas les polices d'assurance. Je préfère ne pas m'aventurer dans ce terrain glissant et aussi excitant pour moi qu'un mur beige avec des barres beiges et une nature morte du genre pot de fleurs.
Par assurance, je fais référence à celle qu'une personne dégage ou ressent. Plus particulièrement à ces moments où le regard des autres a beau déborder de jugement sans créer le moindre inconfort, où on peut se mettre à nu devant des inconnus et se sentir soi, beau, parfait, idéalisé mais tout de même fidèle à soi-même, où les insécurités les plus courantes ne nous effleure même pas l'esprit, où les autres deviennent une extension de notre propre réalité et où rien ne pourrait ébranler cet équilibre aussi soudain que puissant.
Cette impression d'être sans se limiter peut survenir devant une caméra, sur une scène, dans un café, sur une plage, dans l'auto, en solitude complète ou au milieu d'une foule terrible. Peu importe où et quand, elle surprend après-coup. On ne la voit pas venir tant elle nous porte.
Quant à lui, le manque d'assurance se travaille. On le sent s'installer progressivement et miner tout aussi lentement les certitudes qu'on entretient à propos de soi. L'éliminer au bon moment augmente les chances de rencontrer de meilleurs moments. Le vivre à fond pour mieux se reconstruire mène encore plus certainement au meilleur de soi-même. Il suffit de savoir redevenir soi.
Pour devenir soi, il faut d'abord se connaître, puis se surprendre.
J'aime mes moments d'assurance quasi euphorique car ils me surprennent et m'alimentent.

vendredi 12 avril 2013

Déclaration 11

Je sais, je sais. Je ne tiens pas parole et mes textes deviennent de plus en plus rares. J'ai mes raisons, mais pas les bonnes. Je me promets d'y remédier. On verra bien.

J'aime le confort.
Attention, pas un sofa trop rembourré avec une armée de coussins et un joli jeté. Pas un chocolat chaud réconfortant avec sept guimauves (on ne niaise pas avec les guimauves: SEPT!) sur le dessus en train de se gorger de chocolat et de lait.
Non, le vrai confort, celui qui peut survenir même quand il fait froid comme... euh... comme ici! Il fait toujours trop froid ici.
Ce confort-là, il ne découle pas d'objets divers conçus pour épouser une mauvaise posture ou taire l'activité neuronale consciente. Il vient plutôt d'un film qui n'est pas si bon mais qui ravive un paquet de souvenirs, bons ou moins bons. Il suit parfois une rencontre impromptue avec des vieux amis. Il étreint l'âme un instant juste en pensant à cette personne qui est toujours là pour soi, même quand elle n'est pas physiquement là. Il provoque une petite larme de bonheur lorsque l'espace d'une minute, on se retrouve seul mais bien entouré.
J'aime tant le confort que je me mets parfois à le chercher désespérément et alors il me fuit. Un agace-confort. Il ne faut pas le traquer, mais bien l'attendre.
Il arrive que le confort s'absente un moment, voire quelques mois. Il reviendra.
Ce que j'aime par-dessus tout de ce confort émotionnel, c'est qu'il reste accessible, ne coûte rien et nous surprend souvent alors qu'on en a tellement besoin qu'on avait oublié son existence.

mardi 2 avril 2013

Déclaration 10

WTF? Trois textes dans la même journée? Ben voyons donc, je ne sais pas ce qui me prend.

J'aime les secondes de bien-être total.
Lesquelles?
Celles qui nous surprennent un peu n'importe quand. Un peu plus tôt, en voiture, je réalisais que tous les feux de circulation rencontrés étaient verts lorsque ma chanson préférée du moment débuta. Je me mis à chantonner, puis à chanter avec toute la tension faciale qui va avec. En serrant le poing pour montrer l'intensité de l'émotion dans les paroles, j'eus une énorme bouffée de bien-être. En plein milieu de Total Eclipse of the Heart.
Hier, j'arrivais chez un ami très cher un peu avant le souper. Je vivais encore le traitement d'une super dose de caféine et j'avais l'impression d'aller trop vite pour le reste du monde. Mon ami va toujours à la même vitesse que moi. Nous avons donc couru jusqu'à l'épicerie, puis assemblé une plaque éléphantesque de nachos en un rien de temps. Notre programme télévisé de la soirée a commencé et les nachos se sont mis à sentir le bonheur grillé. L'excitation était à son comble dans mon bien-être.
Un jour, je marchais paisiblement vers mon lieu de travail. La nuit avait été très productive en chutes de neige et l'air se réchauffait un brin. Au milieu d'une rue déserte et bordée d'arbres, j'admirais le paysage alourdi par les généreuses accumulations. Un oiseau perdu poussa une ou deux notes un peu plus loin. Je me laissai sourire et attendrir par la beauté de la scène.
Ce dernier moment de paix avec le monde prit fin lorsqu'une voiture me percuta et m'envoya tête première dans le banc de neige.
Comme quoi les bonheur n'arrive jamais seul. Soyez prudents. Mais pas trop non plus; mieux vaut en profiter et se faire renverser que de s'enfermer chez soi en se pensant en sécurité.

Déclaration 9

Quoi? Oui oui, deux textes la même journée! Je me surprends!

J'aime apparaître.
Je sais, ma phrase ne semble pas faire beaucoup de sens.
Par «apparaître», je ne fais pas référence à un tour de magie. J'aime plutôt sortir de nulle part et surprendre les gens. Parfois la surprise est minime, mais dès que je peux en trouver une petite trace, je souris de toutes mes dents à l'intérieur.
Mon apparition, je la vois dans les yeux de mes amis qui me rejoignent et ne s'attendent pas à me voir à l'heure. Je la vois aussi lorsque je les visite au travail sans avertir, que je les croise en pleine promenade ou que communiquons après une longue absence.
Je vois aussi la surprise lorsque je rencontre des inconnus. Quand je rentre dedans en tournant un coin trop vite. Quand j'étais dans leur angle mort en voiture. Quand je souris trop, tellement fort qu'ils en perdent leur pas-de-sourire au coin des lèvres. Quand je commande une boisson chaude qui ne figure plus sur le menu depuis cinq ans dans un café. Quand je chante du Harry Belafonte (1956) au karaoké.
L'endroit où mon apparition me semble la plus percutante, c'est devant un miroir. Il m'arrive d'être si débordé ou simplement étourdi que j'oublie qui je suis. Je pourrais être n'importe qui à l'extérieur sans me sentir différent, du moins dans ces moments-là. Et puis je passe devant une vitrine bien propre et je me surprends à croiser mon regard.
Le miroir a un effet semblable sur moi que sur Nelly Arcan: un écran géant pointeur de défauts. Dans mon reflet, je vois mes dents anarchiques, mon oeil paresseux, mes cheveux indomptables et d'une couleur incertaine, mes pores dilatés, quelques boutons, la foule de géants autour de ma petitesse et les angles douteux de certaines de mes articulations.
Malgré tous ces défauts, je me sens moi. Je les regarde en pleine face et je les envoie promener. Ce n'est pas parce que ma bouche ne se retrouvera jamais dans un magasine qu'elle n'a rien à déclarer. Ce n'est pas parce que ma peau est irrégulière qu'elle l'est aussi de l'intérieur.
J'aime apparaître aux yeux des autres, mais j'aime surtout apparaître devant moi. Comme ça je peux me juger meilleur que mon reflet.

Déclaration 8

Ma rafale coule beaucoup moins vite que prévu, mais l'ampleur du mouvement dans ma vie compense. Du moins, de mon point de vue ça fonctionne comme ça!

J'aime l'effet domino.
Ok, souvent il fait chier, cet effet d'entraînement. Du genre «je débranche mon réveil par accident, je me lève en retard, je trébuche dans la douche parce que je suis pressé, j'ai mal à la gorge parce que je m'étouffe avec un verre de jus d'ananas bu trop vite, je me fais frapper en traversant la rue et le bouchon de circulation ainsi causé empêche l'ambulance d'arriver et je meurs». Bon, la plupart du temps c'est un peu moins grave.
Quelquefois, l'effet domino déborde de retombées positives.
Il peut débuter par une situation terrible, une malchance, un malheur, une catastrophe dans votre vie. Certains abandonnent et ils n'auront jamais la chance de découvrir ce qui les attendait au bout avec un gros sourire et une tape dans le dos. D'autres prennent leur mal en patience et l'endurent, puis s'y font et fuient tout changement, de peur d'empirer les choses. Et d'autres encore identifient le malaise, tentent de s'adapter ou de l'amoindrir et finissent par prendre action pour s'en tirer vers le meilleur.
Nos réactions changent. Parfois on agira comme dans le deuxième cas, d'autres fois comme dans le dernier. L'espoir ne semble pas avoir la cote ces dernières années. Peut-être l'a-t-on trop entendu dans les cours de catéchèse du primaire et une connotation religieuse rend le mot moins attrayant pour la masse. Peut-être est-il simplement un concept dépassé dans notre culture de l'ici-maintenant-jetable.
Ce que j'essaie de dire: j'aime garder espoir tout en prenant le taureau par les cornes. Quand une situation me rend malheureux, j'aime la décortiquer, en tirer des avantages jusqu'au dernier moment et procéder au grand changement dès que possible. Avec la certitude de se retrouver mieux qu'au point de départ, cette certitude deviendra forcément vraie, à un moment ou à un autre. Même si plusieurs essais peuvent être nécessaires.
Au fond, j'aime la pensée positive. Sans rester inerte, quand même.

dimanche 31 mars 2013

Déclaration tardive 7

Bon, je savais qu'à un certain point je prendrais du retard. Comme c'est chose faite, je peux maintenant écrire mes déclarations en rafale, mais tout de même à débit irrégulier.

J'aime les idées en l'air qui retombent.
Quoi? Moi-même je ne suis pas certain de comprendre.
Ce que j'aime relève du croisement de plusieurs circonstances. Quand une idée sort de nulle part et sans raison, on a tous l'habitude de la repousser du revers de la main. Il arrive que cette idée revienne dans une autre situation, à un autre moment. Elle peut même se présenter à une dizaine de reprises avant de sembler réelle.
Qu'elle provienne de soi ou d'un ami, l'idée n'aura pas de valeur tant que tous les éléments ne seront pas en place. Au moment opportun, elle brillera d'autant plus qu'on se rappellera toutes les fois où on l'a oubliée.
Ce que j'essaie de décrire, c'est le mauvais timing de la plupart des bons plans. Il suffit de les garder en mémoire et de les aérer de temps en temps et ils finiront par devenir tentants.
Comme cet ami qui vous offre à plusieurs reprises un emploi qui vous a longtemps pué au nez.
Comme ce restaurant que vous ne vouliez jamais essayer, jusqu'à ce qu'un rendez-vous galant vous y mène.
Comme cette personne avec qui vous avez discuté sporadiquement pendant plus d'un an avant de la rencontrer.
Comme un bon texte qui doit sommeiller longtemps avant de pouvoir être écrit.
Comme une impulsion de changement, prendre cerise au lieu de fraise et s'en délecter.
L'important avec ces idées qui nous rebutent longtemps avant de nous tenter, c'est de ne pas s'y fermer complètement. Oui, elles peuvent sembler saugrenues, voire ridicules. Non, il ne faut pas les suivre lorsqu'elles sont encore repoussantes. Non, il ne faut pas garder son premier jugement négatif lorsque tout converge vers sa réalisation.
Bref, j'aime rester ouvert aux idées sans trop le savoir. J'aime qu'elles m'apparaissent comme des révélations réchauffées. J'aime surtout là où elles m'emmènent.

mardi 26 mars 2013

Déclaration 6

Pourquoi toujours à la dernière minute, genre quelques secondes avant minuit? Ben voyons, comme si j'avais le don d'être à l'heure!

J'aime les rencontres.
Attention, pas toutes les rencontres. Quand mon dos a rencontré un miroir de voiture, puis mon visage a rencontré le banc de neige, je ne jubilais pas trop. Quand un chariot chargé de 2X4 a rencontré mes quatrième et cinquième orteils gauches, je n'ai pas sorti de champagne.
Par contre, vous auriez dû voir mon sourire jusque derrière la tête quand j'ai rencontré mon amie d'enfance après un temps trop long d'absence. Je risque de sourire autant lorsque je rencontrerai son bébé tout neuf cet été.
Il y a aussi la fois où j'ai rencontré mon nouveau moi. Je venais de commencer l'université. J'avais un nouveau meilleur ami et j'ai eu la chance d'en croiser une deuxième. Après un temps, je me suis vu. Pas juste dans un miroir, plutôt vu de l'intérieur. Je me suis serré la main, ne sachant pas que ce surplus d'optimisme, ces pensées en zigzag et ces goûts plus définis et assumés allaient faire partie de moi.
J'ai aussi accumulé les rencontres rapides. Des gens qui passent si vite qu'ils se confondent quelque peu dans mes souvenirs. Des centaines de cafés, des dizaines de soupers et d'innombrables conversations. Certaines m'ont marqué, d'autres auront marqué l'autre et la plupart resteront toujours bof. Dans l'accumulation, les éléments répétitifs se battent entre eux pour finalement s'achever. Heureusement, certains personnages présentaient un peu de substance. Ils m'auront au moins permis de vaincre la timidité des premiers instants, de pouvoir me présenter convenablement sans m'enliser dans une gêne démesurée et handicapante.
Ce que j'aime par-dessus tout des rencontres, c'est qu'elles n'aboutissent jamais là où je le pensais. Je m'en tire tout de même avec des amis, des connaissances, des souvenirs, des informations utiles, des musiques éclectiques et des idées saugrenues. Et surtout, un peu plus grandi.

lundi 25 mars 2013

Déclaration 5

Ce texte de retard me reste encore en tête. Il viendra! Pour l'instant, mon texte du jour.

J'aime le vent.
Et pas juste avoir le vent dans les cheveux lors d'une séance photo ou dans la face en vélo. Le vent qui change les choses.
J'explique:
Chez mes parents, il fait mille degrés Celsius à l'année. Après une heure, mes lentilles cornéennes fusionnent à ma dite cornée et j'ai autant l'impression d'avoir un désert dans les yeux qu'un océan qui sort par les pores de ma peau. Bref, mes parents vivent dans une fournaise. Le meilleur moment de ma visite vient lorsque je leur dis bonsoir pour la quatorzième fois en une heure, donne la bise à ma mère et serre la main de mon père. Car voilà le moment où j'ouvre la porte et cesse de me brûler les bronches. Chaque fois, une bourrasque de fraîcheur m'emporte et je me sens tout léger, le poids du monde s'envole de mes épaules et l'énergie me revient. J'adore mes parents, mais ils me donnent souvent envie d'aller passer le reste de la journée dans un congélateur.
J'aime aussi le vent qui surprend. Au début du printemps, j'ouvre les fenêtres et laisse entrer un léger souffle parfumé de calcium, de lessive gelée, d'humidité et de nouveauté. Cette première ouverture se passe toujours dans un calme revigorant, jusqu'à ce gros coup de vent surprenant. Mes plantes déjà secouées par le pas lourd de la voisine d'en haut se mettent à frémir comme de vraies folles. Tout mon petit appartement se fige et la masse complète de son air renfermé sort en moins d'une seconde. Et puis tout sent le printemps chez moi.
Ça sent le printemps en moi aussi. À certains moments, j'ouvre les fenêtres de ma tête et le vent vient tout balayer. La poussière cognitive envolée, je retrouve les mêmes fondations, les mêmes meubles. J'aime changer de décor, alors je change mon monde interne. Tout ça grâce au coup de vent qui me passe dedans.

dimanche 24 mars 2013

Déclaration 4

J'ai encore un texte en retard, je le sais. Les idées ne manquent pas par contre!

J'aime les vieilles chansons.
Attention, je ne parle pas des tubes de l'été dernier ou des Backstreet Boys. Nenon, les vraies vieilles chansons qui ne jouent presque jamais à la radio. Nina Simone, Otis Redding, Ella Fitzgerald, Tom Jones, Etta James, Barry White, Grace Jones et l'inoubliable Harry Belafonte. Qui? Ben oui, le gars dont les chansons passent dans les scènes les plus marquantes de Beetlejuice. De la musique de 1956, quand même.
Ce que j'aime de ces artistes moins populaires de nos jours relève surtout d'une vibration. Pas dans leur voix,  plutôt celle qu'ils créent lorsqu'on les écoute. On aura beau refaire Feeling Good à toutes les sauces, ça restera toujours la chanson de Nina Simone. Elle la sent jusque dans ses os et la chante jusque dans les miens. Sa voix transporte et donne tout de même directement sur son âme.
Essayez de faire ça avec autotune.
La musique ne découle plus de l'âme de l'artiste, mais d'un conglomérat de grosses têtes doublées de gros portefeuilles. Le succès sert à mesurer la qualité. Comme si l'argent gagné avait plus de valeur que la substance. Ce n'est pas en répétant «baby» avec un effet de voix électronisée qu'on va m'atteindre, mais ça vend.
La belle gueule importe aussi davantage que ce que cette gueule a à partager. Les «chanteurs» en deviennent si obsédés par leur image qu'ils oublient de se dévoiler dans leurs chansons, de travailler le sentiment ou de chercher à traduire une expérience.
Ce que j'aime le plus des vieilles chansons, c'est qu'elles ne se démoderont jamais. Chaque année passée leur ajoute un peu de valeur, comme une antiquité de bon goût. Cent ans après l'enregistrement, j'écouterai Try A Little Tenderness en partageant le moment avec feu Otis Redding. Cent ans plus tard, personne ne partagera quoi que ce soit avec Justin Bieber. Espérons-le!

samedi 23 mars 2013

Déclaration tardive 3

Ma déclaration d'hier se fait attendre et celle d'aujourd'hui ne pourra pas manquer à l'appel. Désolé moi-même pour le retard sur ma propre demande.

J'aime l'inattendu.
J'explique:
Ma vie ressemble souvent à une montagne russe. Certaines situations ressemblent à une maison aux horreurs ou un tourniquet affolant, d'autres au petit manège où on tourne tranquillement dans des soucoupes surdimentionnées. Et comme dans un parc d'attractions, la foule hétéroclite me surprendra toujours.
Quelques personnes connaissent mon nouvel intérêt pour le karaoké (saviez-vous qu'en Japonnais, le terme signifie «orchestre vide»?). Tout a commencé par une fréquentation qui a mal tourné, comme bien d'autres et surtout comme toutes les fois précédentes avec cette même personne. Cinq ou six ans après notre rencontre initiale, sur un coup de tête, nous décidons de visiter une soirée karaoké, juste pour changer d'air et de décor. J'invite un ex, un mordu de chant fort sympathique que je ne voyais pas assez souvent à mon goût.
La fréquentation prend fin, mon ex redevient l'ami qu'il devait être et je me retrouve sur scène avec Tina Turner. Pas la vraie, mais dans ma tête c'était presque pareil et j'ai entamé What's Love Got To Do With It.
Et j'ai rencontré l'organisatrice des soirées karaoké, j'ai atterri chez elle, lors d'une soirée hot dogs et karaoké. J'y ai rencontré de nouvelles personnes, brisé de nouvelles barrières sociales. J'ai chanté comme jamais et découvert des personnalités particulières et attachantes. Je me suis surtout redécouvert, en terrain inconnu.
Et me voilà, un bout de temps plus tard. Je revois ceux et celles qui peuplaient mon ancienne vie, je discute avec des anciens figurants qui prennent de meilleurs rôles dans ma scène perpétuelle.
Ce que j'aime des rencontres inattendues, c'est qu'elles peuvent surgir de n'importe où, même du passé. Connaître une personne à nouveau, c'est rencontrer une nouvelle personne. C'est aussi se rencontrer plus tard, prendre conscience du degré auquel on change.
J'ai changé. J'aime le «toujours plus loin» où mon nouveau moi me mène sans arrêt.
J'aime l'inattendu parce que justement, il ne se fait pas attendre et m'arrive en pleine face sans avertir, sans me laisser le temps de trop penser et de tout distortionner.

jeudi 21 mars 2013

Déclaration 2

Oh oui! Je réussis à tenir un défi personnel pour deux jours consécutifs. Sortez les ballons à l'hélium et les confettis.

Bon, ma déclaration du jour:
J'aime les gens qui ne marchent pas fort.
J'explique: La très grande majorité des gens marchent. Parmi eux, la norme voudrait un pas moyen, de force moyenne, d'amplitude moyenne et de style moyen. Malheureusement, la norme fait plutôt figure d'exception car personne ne marche ainsi.
Prenez ma voisine d'en haut, par exemple. Une chic fille, n'en doutez pas. Elle franchit une distance raisonnable à chaque pas, a du rythme et ne finit pas sa lancée avec une face de «bitch, please». Jusque là tout va bien. Mais à chacun de ces pas presque normaux, elle crée un nid-de-poule. Elle marche fort. Les assiettes tintent, mes plantes se font aller les feuilles et le haut des murs craque presque autant que le plafond (son plancher). Avoir un voisin d'en bas, je suis sûr qu'il l'entendrait.
Prenez le gars avec des lunettes de hipster qui travaille à la brûlerie à côté. Même dans le silence (ce qui arrive rarement dans une brûlerie située à une minute du campus universitaire), ses pas effleurent le sol. Je suis sûr que le plancher ne se rend même pas compte de sa présence tant il fait preuve de délicatesse à son égard. Même sans nervosité, il m'arrive de sursauter lorsque je le vois. Ses enjambées ne dépassent pas l'humainement possible (malgré sa grandeur vertigineuse). Le problème réside dans sa vitesse, elle aussi vertigineuse. Je cligne des yeux et pouf, le voilà à l'autre bout de la salle. Un autre clignement et bam, je renverse presque ma tasse parce qu'il se tient à dix centimètres de moi. Et je ne l'entends jamais arriver.
Des deux, j'aime mieux le gars qui vole comme l'éclair. Il peut causer des malaises cardiaques, mais il n'impose pas sa présence. La fille d'en haut, elle, martèle le monde pour prouver son existence. J'ai beaucoup de difficulté à endurer le pas lourd des gens qui n'arrivent pas à exister en silence. Comme si le fait de bardasser leur donnait plus d'importance, ou que de ne pas signaler leur présence les effaçait.
En plus, ça use les talons.
En plus, ça use les genoux.
En plus, ça use les planchers.
En plus, ça use ma patience qui déjà s'altère autant que le visage de Lindsay Lohan.
Bref, je n'aime pas les gens qui se fient aux oreilles des autres pour vivre. Ceux qui marchent trop fort finiront par défoncer le plancher, ou du moins causer davantage de nids-de-poule. Et pourtant, rien ne leur garantit qu'on les remarque.
J'aime mieux les personnes qui ne marchent pas trop fort. Dans la discrétion, on use moins ses talons et ses genoux et on s'assure d'une approche beaucoup plus délicate.