mardi 28 août 2012

Besoins charnels

L'état de manque pousse chacun, d'une façon ou d'une autre. Facile de l'identifier chez les alcooliques, les toxicomanes ou les nymphomanes. La discrétion des autres rend leur manque plus difficile à cerner. Une ancienne collègue de travail s'assombrissait lorsqu'elle manquait de sourires. Un ami panique lorsqu'il manque d'ordre.
Un soir, j'ai trouvé vingt dollars qui ne figuraient pas dans mon budget plus serré que les vêtements de Rihanna. J'ai sauté sur l'occasion de me gâter un peu et je me suis retrouvé au centre commercial. Quelques personnes au taux de testostérone pas trop élevé y accourent pour des souliers glamour. D'autres se ruent sur des accessoires, des films ou  des bidules électroniques pour lesquels ils se créent de nouveaux besoins.
Dans un rayon un peu sombre, je caresse du bout des doigts l'objet tant convoité. Je glisse mon index d'angle en angle, je déshabille des yeux ce qui se cache sous cellophane. Les autres junkies me jettent des regards de doute et de menace. N'ayez crainte, écumeurs des bas-fonds, je ne piquerai pas votre proie. Les couleurs vives cherchent mon attention, les fonds blancs la retiennent. Et puis ça y est. Là, entre une immense horreur remplie de clichés débiles et un truc non identifiable autrement que par sa banalité, il gît là.
Le roman de Matthieu Simard que je cherche en format de poche (donc moins cher) depuis des lustres. Je n'arrive pas à y croire, j'en ai des sueurs froides. Je dévisage une laideronne au sac à dos surdimentionné et un vieux qui veut paraître trop jeune.Ils n'en ont rien à branler, de Matt. Un peu étourdi, j'écarte bien les parois formées de livres voués à l'oubli sous la poussière. Mais qu'est-ce qu'il fout là, il ne suit même pas l'ordre alphabétique? J'insère prudemment un doigt à gauche, puis un autre à droite. Au final, toute ma main droite s'introduit dans l'accueillante ouverture. J'empoigne mon totem de plaisirs littéraires et l'approche de mon corps. Je sens les mots vibrer contre ma poitrine. Ou bien mon coeur se débat, sans importance.
Je plane vers la caisse, à peine conscient de ce qui m'entoure. Je m'en fous, de Fifty Shades of Grey ou de l'énième émule de Twilight. Le monde repose entre mes mains, tout contre moi, déjà partout entre mes neurones déréglés.
La caissière sourit, rit, a le regard pétillant et ne commet aucune erreur de syntaxe ou d'accord. Elle aurait pu se dévêtir que je n'aurais pas été plus excité. Ce pur délice ne me coûte même pas tout mon vingt dollars.
Hey. Un nouveau livre. Je capote. Je sors de la librairie avec la face d'un gars qui vient de faire un tour de l'arrière-boutique avec la charmante jeune femme à la sortie.
Fuck. Mon pénis ne se contient plus. J'étais tellement en manque d'un bon nouveau roman à croquer que j'en ai une érection. Combien de personnes autour de moi sont aussi littérophiles? Je n'ose pas imaginer les sensations des deux incongrus du rayon un peu sombre. J'ai ma gâterie, c'est tout ce qui compte.
À ce moment-là, je vois le monde de travers.

lundi 20 août 2012

La fenêtre

Sur Facebook, j'avais annoncé la parution prochaine d'un extrait de mon nouveau projet ici. Alors sans plus tarder, voici une scène écrite en équilibre sur un module de terrain de jeux en pleine nuit. Aucun lien avec l'histoire, mais bon, j'ai l'inspiration que je peux avoir, pas des miracles!

Mes pieds élancent d'inactivité, comme si j'avais couru le marathon. Mes larmes font rougir celles produites à Hollywood et ma déchirure béante absorbe la pièce.
Cette pièce. Vous savez, cette période où la mode architecturale suivait à la lettre la tendance déco du moment? À la saison où cette maison de malheur fut construite, on entassait de grandes fenêtres dans le coin d'une pièce pour faire moderne. Le monde extérieur me donne l'impression d'être en pénitence permanente dans ce foutu coin.
Et moi, dans le coin opposé, j'ai l'air de quoi? D'une âme en peine, style classique avec une boîte de mouchoirs.
Ne vous leurrez pas, je ne pleure pas de chagrin. Enfin si, mais davantage de soulagement. Comme quand mon petit frère a passé son premier jeu vidéo. Zelda, je crois. Peu importe. Il savourait sa victoire, mais surtout sa défaite de n'avoir pu faire durer le plaisir.
Même chose pour moi. Je pleure ma Zelda, une gâterie évanescente dont j'ai oublié de refermer le bouchon entre chaque utilisation. Je préfère continuer à l'appeler Zelda, ce nom me lacère moins les entrailles que l'autre, le vrai. Ce nom aux notes de miel. Quatre consonnes et autant de voyelles qui m'ensorcèlent et ça la fait rire comme un soleil. Je n'ose pas la désigner «Elle» non plus, ça sonne hypocrite et trop comme son vrai prénom, celui qui m'a laissé tomber une fois de trop devant le regard indécent de notre mon salon qui louche avec trois carreaux à gauche et quatre à droite.
Je bondis hors de mon Kilimanjaro de Kleenex, en bobettes. Il n'y a qu'au plus profond de mon absence de dignité que je porte ces horreurs blanches un peu jaunies avec l'élastique pété.
Les fesses secouées par chacun de mes pas d'endolori, je fonce vers la fenêtre en coin laide comme tout. Je renverse mon thé chaï sur le tapis beige dégueu et je m'en sacre. Enfin, pas tant puisque j'en parle. Mais je n'ai nullement l'intention de nettoyer ça dans un futur rapproché.
Après avoir fait trembler de tout mon poids le fauteuil en cuir brun sous l'immonde baie vitrée, je le scalpe. Son jeté poilu à motif de peau de girafe à la main, j'attaque enfin.
Le morceau de tissu mou enroulé dans le store en aluminium, je le regarde pendre et rétablir une belle symétrie de revue de décoration.
Maintenant, pleurons en paix devant ce regard bienveillant.

dimanche 19 août 2012

Abandonner les huîtres

J'apprécie les autres. J'adore surtout les Autres. À quoi bon échanger des idées avec une version modifiée de soi-même?
Ce que j'aime des relations interpersonnelles, c'est ce qu'elles m'apportent. Chaque ami et chaque bonne connaissance m'apprend quelque chose, ou du moins se rend utile. Attention, pas dans le sens de «contact stratégique», plutôt d'une façon égocentrique et un peu tordue.
La plupart des particules uniques de mon entourage m'ont fait ou me font découvrir une partie de moi-même ou une parcelle de mon monde. Une fois leur enseignement de l'école de la vie complété, je les garde près de  moi. Toutefois, d'autres personnes quittent mon univers de temps à autre. Bien que beaucoup d'entre eux aient leur utilité, il arrive que je me sente vide et inutile en leur compagnie.
Mon principe social central se résume à un échange réciproque. Entre humains, nous sommes égaux et je me dois de leur donner autant qu'ils peuvent le faire. Certains se bornent tout de même à jouer les huîtres: nous savons tous deux qu'une perle s'y cache, mais je n'y aurai jamais accès sans les briser. Ils restent donc fermés, impénétrables et à l'épreuve des fuites. Il ne changent pas avant, pendant ou après mon passage dans leur vie. Je poursuis donc ma route et les laisse vaquer à leurs paisibles occupations autarciques.
Heureusement, les Autres sont présents dans ma vie en direct, en rediffusion mémorielle ou en projection dans l'avenir. Non seulement j'en tire quelque chose, mais en plus ils en bénéficient autant que moi.
Le but des interactions sociales se modifie selon les besoins. Au fond, même s'il laisse une impression différente ou porte un autre masque, il gravite toujours autour du même point: le changement.
Si je tiens à vivre en société et côtoyer plus spécifiquement certains humains, c'est que j'espère changer. Plus loin encore, j'entretiens une petite lueur d'espoir narcissique qu'à quelque part, je laisserai ma trace en eux.
Les huîtres ne me changeront jamais plus qu'elles n'évolueront. Je scrute alors la foule et je tente de départir les sources de changement des fruits de mer.
À cet instant, je vois le monde de travers, encore.

mardi 7 août 2012

Bouquet humain

Le corps subit le même destin qu'une fleur.
Des mois durant, il se forme et se développe dans son terreau fertile. Bien qu'il demeure invisible à l'oeil nu, ses besoins sont déjà présents. Pas de nutriments, pas de foetus.
Un jour, quelqu'un le cueille. Le bébé vit tel une plante quelques temps, avant de bourgeonner. Les premiers signes de personnalité apparaissent et l'individualité s'installe. Chaque fleur diffère des autres. Chacune a son style, son charme, sa signification. Certains deviendront chardons, d'autres orchidées.
Avec les années, la fleur se perfectionne. Jusqu'au jour où elle commence à faner. Le corps se recroqueville sur lui-même, rendant l'enveloppe de la fleur toujours plus flétrie et terne. À l'intérieur, le développement se poursuit. La vie commet alors une terrible injustice en rendant laid et triste ce qui au contraire devient toujours plus vivant.
Et puis un jour, la fleur perd des pétales. Ils ramollissent et se dessèchent ensuite. Ils tombent un par un ou tous à la fois et c'en est la fin d'une fleur.

Chaque jour, nous prenons part à un bouquet. Prendre soin de soi signifie accorder de l'importance à l'harmonie de cet arrangement humano-floral. Une fleur fanée n'est pas morte, juste plus usée par l'expérience.

lundi 6 août 2012

Attendre

Une sage personne m'a transmis une citation célèbre. Si célèbre que je ne sais plus de qui elle vient.
« Celui qui aime attend toujours » (ou quelque chose comme ça)
Et bien j'aime. Je serai en retard ce soir, malgré ma bonne volonté. Toutefois, je l'aurai attendue toute la journée en divers endroits. Dans mon auto, sur une roche, au milieu d'un champ, à côté d'un silo sentant le purin, derrière une dame cachée sous un nuage enveloppant de son parfum dégueu, bref partout ou à peu près. Le sentiment ne me lâche pas d'une semelle. Je sais qu'elle sera là à temps, au cas où j'arrivais à l'heure pour une fois et pas du tout surprise de l'attente. Nous sommes à des kilomètres et je sais qu'elle existe, je sais qu'elle sait que j'existe. Deux corps siamois par le cerveau. Mieux, par l'âme.
Mais quelqu'un d'autre aussi se fait attendre. Je l'attends depuis encore plus longtemps. Dans un cours plate, devant un client poche, sous une pluie d'insultes, immobilisé par la peur de bouger, écrasé de toutes parts et parfois libre comme l'air, j'attends l'autre. Cet autre, c'est moi. On ne peut pas aimer quelqu'un d'autre sans d'abord s'aimer soi-même.
Si je l'aime autant, ça me rassure au sujet de mon amour-propre.
Je nous aime et j'attends encore. Je n'ai qu'à étirer les doigts et je toucherai enfin mon but. En espérant le reconnaître.