dimanche 23 juin 2013

Megamix

Vous rappelez-vous ces megamix du début des années 2000? Ces blocs musicaux de cinq à dix minutes regroupaient parfois jusqu'à quinze ou vingt chansons, toutes arrangées pour en créer un nouveau, une sorte d'anthologie musicale pop. Pour ma part, celui d'environ sept minutes quarante-deux secondes de Britney Spears, à l'époque de Toxic, m'a suivi plutôt longtemps.
Je me lance donc comme défi de reprendre certains de mes textes et de les réinterpréter en un seul. Que puis-je créer à partir de Les coudes, Turn back time et Déclaration 2 (sur ces gens qui marchent trop fort)? Et aussi, quel autre sujet puis-je bien y ajouter pour faire davantage de sens?

Au bord du fleuve, les passants s'activent lentement (sauf les enfants) et crient, photographient et s'assurent de bien prendre toute la largeur du trottoir. Parmi eux, tu es là, à parler et photographier sans arrêt comme un vrai touriste japonais. Mais tu n'es ni touriste, ni Japonais. Je t'observe marcher, explorer, fuir les maringouins et t'émerveiller. J'aime te voir sourire devant le panorama exotique que devient mon paysage habituel.
À mes côtés, tu commentes les gens qui nous entourent. Un énorme cornet de crème glacée à la vanille enduite d'une généreuse couche de chocolat blanc à la main, tu ne sais plus où donner de la tête. Je n'ai qu'à garder un œil sur le dessert froid qui dégouline généreusement sur ton t-shirt de super-héros et t'informer de l'étendue des dégâts. Et toi, tu te mets à imiter le vieux qui marche devant nous. Il martèle le trottoir avec de grand pas si décidés et à la fois si stylisés qu'on dirait qu'il gambade. Les fourmis qu'il croise doivent paniquer et crier au séisme catastrophique. God save the Queen.
Tu l'imites et la crème glacée se répand sur tes vêtements, recouvre une partie de ton visage et fond à vue d’œil. Nous le regardons marcher si fort sans raison, juste pour se prouver qu'il existe puisqu'il fait du bruit ou pour replacer sa sandale hideuse. Et une fois ton imitation terminée, je te retrouve marchant lentement, sans bruit, sans éprouver la nécessité de défoncer le béton pour te prouver ton existence. Nous nous observons par regards en coin et ça nous suffit.
Et puis je regarde ton joli corps se mouvoir dans ce décor qui t'éblouis. Tes pieds qui ne savent plus où se poser et qui te font parfois trébucher, tes doigts collants qui tentent d'effacer les traces de ton dessert répandu partout sur tes vêtements, ta bouche encore plus collante qui me crie de l'embrasser, tes cheveux emmêlés qui ont su échapper à l'explosion de ton cornet, tes coudes. Ces coudes, ils ont su m'inspirer un joli texte et ils pourraient le faire à volonté. Tes coudes ne ressemblent à aucun autre coude, ils permettent d'articuler ce si beau corps qui bouge si bien et qui m'attire si tant. Tes coudes qui, de par leur nom, me font chanter Turn back time.
If I coude turn back time
Et ça repart. La chanson ne me quittera jamais. Derrière le monsieur qui devrait marcher avec des souliers en béton pour accentuer l'impact de son pas, devant le fleuve aux couleurs si franches, en pleine digestion d'une excellente glace chocolatée, aux côtés de quelqu'un de si attirant, de si attachant, Cher me harcèle encore.
J'essaie des anagrammes de cinq lettres, supposés effacer toute trace des chansons envahissantes. Malheureusement, je ne réussis qu'à y additionner d'autres chansons. En me disant «MERCI pour le CRIME», je me mets à intégrer Love is a crime d'Anastacia. Et lorsque j'entends le BRUIT de la TRIBU, c'est La tribu de Dana qui se mêle aux deux autres chansons.
Ma tête devient une véritable cacophonie, tellement que j'ai envie de miner le terrain avec la force de mes pas pour pouvoir exister plus fort que mon megamix improbable. Et puis l'un de tes coudes frôle mes côtes par accident, dans un effleurement plus sensuel que violent. Le silence se fait, je suis tout à toi, jusqu'à la prochaine chanson. Et même après.

jeudi 13 juin 2013

Ma routine temporaire

Depuis quelques semaines, je remplace une factrice dans un coin légèrement reculé de la campagne environnante. Mon contrat tire à sa fin et je sens que certaines clauses n'y figuraient pas.
Chaque matin, je dois me réveiller très tôt pour finalement partir un peu moins tôt et espérer arriver à l'heure. Ou du moins, à peu près. J'affronte un peu trop régulièrement la surprise des travaux routiers. Parfois, je me retrouve pris sur ma rue, ses deux extrémités donnant sur un immense trou au fond duquel une conduite d'eau a cru bon exploser ou creusé là, seulement pour justifier la multiplication des problèmes de circulation. Je me retrouve donc à parcourir deux kilomètres dans une direction opposée à ma destination, me prendre un café au passage et me stationner sur une autoroute habituellement déjà bondée à laquelle on a décidé d'ajouter le flux des deux seules autres autoroutes allant dans la même direction, mais dans différents secteurs. Selon les matins, j'arrive à l'heure, quinze minutes trop tôt ou une heure et demie plus tard. Chaque matin, mon niveau d'éveil et de stress varie tout en restant dans les scores élevés.
Chaque matin, je dois me freiner lorsque je trie le courrier. Peu importe la raison, je dois toujours attendre mon courrier à trier. Les trieuses discutent, se plaignent de maux de jambes, s'attroupent devant un client charmant, s'absentent ou se perdent sur une autre tâche. Alors je sirote mon café, je tente de trouver la véritable adresse de tous ces gens qui nous engueulent alors qu'ils ne donnent jamais la bonne adresse (comment savoir que par «9981b avenue du Pompier», cette personne voulait dire «18 rue des Pommiers»?), je classe les rares documents qui traînent sur mon classeur et je ne cesse jamais de consulter mon cellulaire, distribuant des salutations et des souhaits de bonne journée à mes amis. Et à chaque fois, je quitte le bureau de poste au moins trente minute plus tard que je ne le voudrais. Encore du stress.
Chaque jour, je vois défiler devant moi différents problèmes de transport. Sur une route sinueuse, étroite et dangereusement dans une pente constante, je croise d'énormes camions ou d'autres, plus petits mais qui en mènent beaucoup plus large, sans raison apparente. [Est-ce moi ou plus le pick-up est gros, pire est sa conduite? Ce n'est pas parce que tu peux passer par-dessus ta maison avec que tu dois menacer d'écrabouiller les autres autos, les trottoirs, les vieilles dames et les tracteurs qui se trouvent sur ton chemin]. Je croise aussi des rassemblements de papillons, des gangs organisés d'oiseaux, des nuées de moustiques, des tracteurs débordants de purin, des chèvres, des chevaux, des poussettes, des VTT, des motos, des chiens, des chats, des marmottes, des mouffettes, des enfants, des vieillards et pourquoi pas des truites, un coup parti.
Chaque jour, je vois tout ce monde s'activer ou se ralentir devant moi, fonctionner mieux en mon absence et me renvoyer à mon vide. Lorsque je ne me défonce pas les cordes vocales en voiture, je me mets à penser et à me dire que tout ce monde-là ne me laisse aucune place, aucun droit à l'existence. Alors même que je rends service aux résidents de cette petite localité, ils ne cessent de me barrer la route, me crier après, me claquer la porte au nez, me dire qu'ils aiment mieux celle qui passe d'habitude, m'avertir de faire attention la prochaine fois pour ne pas mélanger le courrier de toute la ville en envoyant tout n'importe où (je le redis: écrivez vos adresses comme il faut, sacrament!), me dénoncer de délits fictifs à ma très compréhensive supérieure, voire me menacer avec un fusil de chasse, tant qu'on y est.
Et puis viennent les touristes. Ceux-là se promènent pour la plupart à vélo sur des kilomètres de côtes dangereuses. Ils me font de grands signes d'aussi loin qu'ils peuvent me voir et me posent des questions parfois surprenantes. Au fin fond de la Côte-de-Beaupré, on me demande si Saguenay est bien loin, si l'intersection de telle et telle rues est proche (seulement une trentaine de kilomètres, deux villes plus loin), si je sais où demeure un certain Eurépide Tremblay (nom fictif) qui demeure quelque part dans la région, si je vends des timbres dans ma voiture, combien coûte l'envoi de telle lettre, telle carte postale ou tel colis vers les Pays-Bas, si tous les facteurs sont aussi jeunes que moi, pourquoi je n'ai pas le fameux petit camion sans portes identifié aux couleurs de la compagnie, voire quelles études j'ai dû réaliser pour en arriver là. Et malgré toutes les questions invraisemblables et mes réponses parfois confuses, ces touristes me permettent d'exister. Grâce à leurs questions parfois débiles, je suis utile, presque une mascotte locale, mais une référence approximative.
Dommage que mon remplacement s'achève. Je devrais peut-être me rediriger vers un kiosque d'information touristique. Ou un hôpital psychiatrique où recueillir quelques clients paranoïaques.
J'ai occupé déjà beaucoup d'emplois et j'en connaîtrai sûrement encore d'autres. L'avantage, c'est que chacun m'apprend non seulement une compétence particulière, mais une part de moi-même aussi.
À force de voir de petites parties du monde, je finis par me découvrir.

lundi 10 juin 2013

Turn back time

If I could turn back time
If I could find a way
Certaines chansons ne nous quittent jamais. Elles jouent en boucle toute la journée dans la voiture, au bureau et surtout dans notre tête. Chaque pas martèle leur rythme, chaque parole dicte notre point de vue.
Then maybe, baby, you'd stay
Ces jours où je me sens comme un chat sauvage avec Marjo, je glisse dans mon monde sans m'accrocher. Parce que cette chanson me parle d'amour et de liberté, parce qu'on ne m'apprivoise pas. Il faut me laisser aller, comme on m'a laissé venir au monde. Et alors je fuis tout ce qui se fuit et même plus. Le synthétiseur résonne en moi et me crêpe les cheveux de l'intérieur. Certains classiques nous influencent autant que ça.
If I could reach the stars
Ces jours où je me prend pour le plus beau du quartier, réchauffé par la voix sensuelle de Carla Bruni, je me sens torride. Je m'arme d'assurance et d'un charme emprunté. Les autres ne me voient pas si beau, pourtant je le sens presque, je me vois faire tourner les têtes et attiser le désir sur mon passage. Ma perception devient érotomane et je m'en fous. Du moins jusqu'à la prochaine chanson.
I'd give them all to you
Ces jours où je m'obsède pour sa sensualité, comme Axelle Red, je peine à détourner mes pensées de cette personne si spéciale. J'aime ses yeux, son odeur et ses gestes en douceur. Et bien d'autres choses. Ces jours-là, je ne pourrais absolument pas me retenir de lui sauter dessus au premier regard. Au diable ses vêtements et sa pudeur, je dois couvrir son corps de baisers. Je dois aussi tenir ce corps tendrement dans mes bras, l'observer bouger et m'émouvoir de ses mouvements, m'émerveiller de son attitude et ses manières, savourer chaque instant en sa présence. Ces instants me reviennent ensuite avec la chanson. Et aussi souvent sans.
Et depuis un certain temps, Cher me harcèle avec ses envies de remonter le temps. Je ne revivrais pas mon passé (pas plus que le sien!) et j'ai bien hâte de voir ce que me réserve la suite. Mais elle crie de sa grosse voix qu'il lui faut revenir et changer les choses, m'assurer qu'il reste. Même si pour moi, personne n'est parti.
Ça doit être l'âge, elle devient sénile et s'est convaincue qu'elle doit retrouver quelqu'un.
Moi aussi, je vieillis. Je me contente de garder les gens auprès de moi et de changer de disque de temps en temps. Ça évite bien des regrets, mais ça ne me donne pas un hit comme Turn Back Time.