mercredi 20 juin 2012

Peine à perpétuité

Prison à vie. Je fronce les sourcils à chaque fois que je me rappelle les vingt-cinq années que représente cette sentence.
Je moisis en prison depuis à peu près vingt-cinq ans justement. Ma libération demeure invisible à l'horizon, contrairement à n'importe quel criminel grave jugé au Canada.
La prison à vie, c'est d'être enfermé dans un corps qui ne nous plaît pas. Pire, qui ne plaît pas aux bonnes personnes pour atteindre un but. C'est aussi avoir peur avant de tourner une page. Au moment de réaliser un changement ou de mettre les choses au clair, les barreaux se referment et je m'y enfonce toujours plus creux.
C'est de se réveiller chaque matin avec un mal de bloc, qu'on ait fait la fête ou non. C'est tout faire par habitude pour oublier les jours qui défilent. Pleurer de l'intérieur quand l'extérieur ne veut pas le faire. S'époumoner toute la journée dans sa tête parce qu'autrement, aucun son ne sort. Sourire avant que le masque ne se brise. Vomir ses idées sur papier. Les cracher au visage des autres. Mourir à petit feu en attendant des nouvelles qu'on n'a plus la force d'espérer.
La vraie prison à vie, ça dure beaucoup plus que vingt-cinq ans.

mercredi 13 juin 2012

À l'heure

Je fonds au soleil. Mes neurones se liquéfient. Ma sueur coule à flots, ma peau se dore et le sommeil l'emporte. Pour une fois que je n'ai pas à le provoquer ou le chercher, je dois le combattre. Autant écrire que rêver. Quel espèce de jeune fainéant je fais, somnolent au centre-ville!
Je ne me presse pas, cette fois, ce qui me change pas mal de mon habitude. Retardataire depuis toujours, j'attends pour une fois ma tendre moitié plutôt croustillante.
Depuis douze ans, elle m'attend. Depuis douze ans, j'arrive en retard et ça nous convient tous les deux. Là, les rôles s'inversent. Trente minutes d'avance pour compenser de mes années de retard. L'heure du rendez-vous passe, elle panique. Armée, elle menacerait le chauffeur de bus de foncer, de défoncer les automobiles ralentis par la tourista. (Tourista: maladie temporaire frappant le Vieux-Québec rendant les visiteurs lents, exécrables, lents, abrutis, ultra lents, perdus, adeptes du sur place et dépendants de la caméra.)
Elle tarde à réaliser une entrée remarquée dans ce parc surpeuplé. J'ai hâte de la revoir. Je comprends comment elle se sent, pourquoi elle est toujours si patiente. Je le savais déjà. Je l'aime.

Conversation aux Merveilles

- Je ne suis pas fait pour les relations.
- Ça te prendrait quelqu'un de jetable.
- Ben là!
- Voyons, qui est-ce que je connais de jetable?
- T'es vraiment une personne ignoble.
- Ah oui! J'en ai un en tête!
- Tu commences à m'écoeurer.
- J'ai bien connu quelqu'un de jetable. C'était un appareil photo.
- T'es con.
- Notre histoire fut très brève. À peine 24 poses.
- Je t'emmerde.

lundi 11 juin 2012

Boulet de canon

Seul.
Devant l'immense, la solitude s'absente. Le lucioles donnent le tempo, les lampadaires peuplent et l'eau rend le tout un peu plus humain. Juché sur un canon, le monde tremble à mes pieds. Je me sens tout-puissant, gorgé d'hormones, en plein délire mégalomane.
Un pas et la fin me happe de plein fouet. Un seul petit pas, maladroit ou déterminé, puis tout s'arrête. Je me laisse charmer par l'idée. Nous flirtons un moment. La faible brise me pousse à peine vers le précipice, hypocrite.
Mon heure ne viendra pas aujourd'hui. Je ne sauterai pas. Je me connais, je ne sauterai jamais et c'est tant mieux. D'autres le feront et j'ai une pensée pour eux, pour ces épris de la poussée. Je ne suis pas seul à la sentir. L'impulsion tend la main, tente de me prendre par le collet. Il faut la repousser, c'est ce que tout le monde dit. Comme si ça importait vraiment. Les pieds dans le vide au bout d'un canon, les autres diront bien ce qu'ils voudront.
Ma tête se vide, mes nerfs se relâchent. Les pensées intrusives s'évadent, les devoirs sociaux s'envolent. Il n'y a plus que mon corps infus de détente. Et le vide. Tomber, c'est s'endormir pour de bon. Une fuite dans le calme. Une fin insignifiante. Autant retourner sur terre et combattre.
À vie.

dimanche 10 juin 2012

En avant la musique

Loin de chez moi (comme si je savais vraiment où c'est, au départ), je me sens un autre. Froid, distant, faussement pressé, je fend la foule vers ce qui me retiendra loin de mes pensées. Mon iPod se charge de mes oreilles. Je fonce, féroce et infusé de musique. Quelques minutes et bam, ça se produit.
Il fait chaud, mes pieds font squick dans mes gougounes, ça pue, le soleil tape et maudit que les gens sont laids. Mais mon corps ne s'en rend pas compte, on dirait. Il envoie tout mon sang au même endroit, si vous voyez ce que je veux dire. Gêné, je vérifie que je ne marche pas avec une tente montée. Correct. Bon, ça va passer.
Eh bien non. Une heure plus tard, je pénètre dans une cabine d'essayage et je replace le tout. Les changements de vêtements me demandent de me dénuder les oreilles et de les soumettre aux choix musicaux pour hipsters. Je déteste ces remix abusifs. Et ça redescend enfin.
Dix minutes plus tard, de retour avec Gotan Project et Moby. Ça repart. Je marche. Je tente d'oublier ma raideur. Je me rends compte que je mate depuis le début. J'ignore la laideur. Les gens sont laids, mais je cherche à savoir qui m'excite le plus là-dedans quand même. Je dois être brisé ou défectueux. J'enlève mes écouteurs en entrant dans un café. Les passants redeviennent affreux, voire pires.
C'est la musique. Cette satanée musique qui m'allume plus que tout. Après la gérontophilie, la dendrophilie et la tristement célèbre scatophilie, voici la musicophilie. Faire l'amour avec des artistes du son à tous les soirs, en passant d'un à l'autre sans inhibition, c'est ben l'fun. Beaucoup plus qu'un gang bang.
Vont-ils porter plainte? Ils pourraient se sentir violés du clavier. Ginette Reno se sentirait discriminée parce que je ne baise pas sa musique (même si c'est bien bon). Et si je ne pouvais pas me retenir, que la musique au travail m'excitait au point de déraper? Si ça venait à se savoir? Qu'est-ce que mes proches vont dire? Je vais passer pour un pervers de l'electro. Mes parents auront si honte qu'ils vont me renier. Comment vais-je trouver partenaire qui tolère ça? Il doit y avoir des sites spécialisés dans ce genre de rencontres. Quel genre de dégénéré peut bien aller là-dessus? Si je tombe sur des amoureux d'Edith Piaf ou de Julie Masse, que fais-je?
La société ne m'a pas préparé à affronter ça. On m'enseigne depuis toujours que ma vie sera banale, sans anicroche, sans intérêt même. Là, j'ai un problème et il paraît dix fois pire, faut d'être informé ou du moins outillé pour y faire face.
Ce raisonnement vous est familier? Sûrement. Tout le monde passe par là, peu importe le sujet du questionnement. Personne n'est préparé à la différence. Je ne sais pas ce qu'on nous transmet vraiment comme base, mais ce n'est pas si utile que ça. Après un tel conditionnement au conformisme, la moindre dérogation aux plans initiaux vaut une crise existentielle. Et pas juste pour soi. Tout l'entourage y passe. Tout le cerveau y passe. Tout le concept d'identité aussi. Personne n'est à l'abri du lavage de cerveau non plus.
Je retourne à Radiohead.

mardi 5 juin 2012

De marbre


De marbre. L'homme reste immobile devant la foule. Ses cheveux humides lui collent au visage. Sa peau se contracte au contact des bourrasques d'air froid. Debout, bien droit, les bras croisés, il fixe loin devant.
À ses pieds, à côté de ses vêtements détrempés et d'un sac à dos aux coutures sur le point d'exploser, une femme décide de l'approcher. Elle s'avance, entend son souffle, sent sa peau battue par le temps.
L'homme ne la voit pas. Il surveille le même point sans relâche, sans contact avec son environnement immédiat. Coupé de son corps, il semble très loin dans ses pensées. Trop loin.
La femme arrive à quelques centimètres de ses jambes. Elle s'appuie sur son piédestal de fortune, un gros rocher. Elle tend la main vers un mollet, puis se ravise.
La nudité de l'homme intrigue plus qu'elle ne choque. Les voyeurs se lassent vite de commenter ses organes génitaux et s'inquiètent de la raison de son absence d'accoutrement.
Dissimulé sous une camisole légère, un chandail horrible, une veste coupe-vent, un pantalon trop grand et une casquette ridicule, le corps de la femme jalouse celui de l'homme. Il préfère le confort des vêtements par un temps pareil. Il envie la peau de l'homme qui ne réagit même pas à l'air glacé.
Surexposé, le corps de l'homme jalouse celui de la femme. Son propriétaire ne le sait pas car il s'emporte toujours plus loin. Il aimerait le confort des vêtements. Il voudrait pouvoir réagir au vent, à la pluie, au froid grandissant.
La femme s'est lassée de la contemplation. Elle empoigne son téléphone cellulaire, prend une photo, l'envoie à trois de ses amis, commente l'événement sur cinq ou six plate-formes électroniques, puis tourne le dos au phénomène de foire. Elle s'éloigne. La moitié des curieux lui emboîtent le pas. Ceux qui restent se découragent lentement, de moins en moins rejoints par de nouveaux arrivants.
Vient un temps où l'homme se retrouve seul. Nu, frigorifié, ignoré.
Cet homme, nous le sommes tous. À l'ère des moyens de communication abusifs, ils nous tiennent captifs. La révolte ne dure jamais longtemps car on trouve mieux à faire, plus stimulant à regarder.
Je me demande quel est l'avenir des œuvres d'art, des représentations de la réalité et des souvenirs. Il n'y a qu'à regarder son cellulaire pour que tout disparaisse. Le monde nous laisse.
De marbre.