mardi 5 juin 2012

De marbre


De marbre. L'homme reste immobile devant la foule. Ses cheveux humides lui collent au visage. Sa peau se contracte au contact des bourrasques d'air froid. Debout, bien droit, les bras croisés, il fixe loin devant.
À ses pieds, à côté de ses vêtements détrempés et d'un sac à dos aux coutures sur le point d'exploser, une femme décide de l'approcher. Elle s'avance, entend son souffle, sent sa peau battue par le temps.
L'homme ne la voit pas. Il surveille le même point sans relâche, sans contact avec son environnement immédiat. Coupé de son corps, il semble très loin dans ses pensées. Trop loin.
La femme arrive à quelques centimètres de ses jambes. Elle s'appuie sur son piédestal de fortune, un gros rocher. Elle tend la main vers un mollet, puis se ravise.
La nudité de l'homme intrigue plus qu'elle ne choque. Les voyeurs se lassent vite de commenter ses organes génitaux et s'inquiètent de la raison de son absence d'accoutrement.
Dissimulé sous une camisole légère, un chandail horrible, une veste coupe-vent, un pantalon trop grand et une casquette ridicule, le corps de la femme jalouse celui de l'homme. Il préfère le confort des vêtements par un temps pareil. Il envie la peau de l'homme qui ne réagit même pas à l'air glacé.
Surexposé, le corps de l'homme jalouse celui de la femme. Son propriétaire ne le sait pas car il s'emporte toujours plus loin. Il aimerait le confort des vêtements. Il voudrait pouvoir réagir au vent, à la pluie, au froid grandissant.
La femme s'est lassée de la contemplation. Elle empoigne son téléphone cellulaire, prend une photo, l'envoie à trois de ses amis, commente l'événement sur cinq ou six plate-formes électroniques, puis tourne le dos au phénomène de foire. Elle s'éloigne. La moitié des curieux lui emboîtent le pas. Ceux qui restent se découragent lentement, de moins en moins rejoints par de nouveaux arrivants.
Vient un temps où l'homme se retrouve seul. Nu, frigorifié, ignoré.
Cet homme, nous le sommes tous. À l'ère des moyens de communication abusifs, ils nous tiennent captifs. La révolte ne dure jamais longtemps car on trouve mieux à faire, plus stimulant à regarder.
Je me demande quel est l'avenir des œuvres d'art, des représentations de la réalité et des souvenirs. Il n'y a qu'à regarder son cellulaire pour que tout disparaisse. Le monde nous laisse.
De marbre.

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