De marbre. L'homme reste immobile devant la foule. Ses cheveux
humides lui collent au visage. Sa peau se contracte au contact des
bourrasques d'air froid. Debout, bien droit, les bras croisés, il
fixe loin devant.
À ses
pieds, à côté de ses vêtements détrempés et d'un sac à dos aux
coutures sur le point d'exploser, une femme décide de l'approcher.
Elle s'avance, entend son souffle, sent sa peau battue par le temps.
L'homme
ne la voit pas. Il surveille le même point sans relâche, sans
contact avec son environnement immédiat. Coupé de son corps, il
semble très loin dans ses pensées. Trop loin.
La
femme arrive à quelques centimètres de ses jambes. Elle s'appuie
sur son piédestal de fortune, un gros rocher. Elle tend la main vers
un mollet, puis se ravise.
La
nudité de l'homme intrigue plus qu'elle ne choque. Les voyeurs se
lassent vite de commenter ses organes génitaux et s'inquiètent de
la raison de son absence d'accoutrement.
Dissimulé
sous une camisole légère, un chandail horrible, une veste
coupe-vent, un pantalon trop grand et une casquette ridicule, le
corps de la femme jalouse celui de l'homme. Il préfère le confort
des vêtements par un temps pareil. Il envie la peau de l'homme qui
ne réagit même pas à l'air glacé.
Surexposé,
le corps de l'homme jalouse celui de la femme. Son propriétaire ne
le sait pas car il s'emporte toujours plus loin. Il aimerait le
confort des vêtements. Il voudrait pouvoir réagir au vent, à la
pluie, au froid grandissant.
La
femme s'est lassée de la contemplation. Elle empoigne son téléphone
cellulaire, prend une photo, l'envoie à trois de ses amis, commente
l'événement sur cinq ou six plate-formes électroniques, puis
tourne le dos au phénomène de foire. Elle s'éloigne. La moitié
des curieux lui emboîtent le pas. Ceux qui restent se découragent
lentement, de moins en moins rejoints par de nouveaux arrivants.
Vient
un temps où l'homme se retrouve seul. Nu, frigorifié, ignoré.
Cet
homme, nous le sommes tous. À l'ère des moyens de communication
abusifs, ils nous tiennent captifs. La révolte ne dure jamais
longtemps car on trouve mieux à faire, plus stimulant à regarder.
Je me
demande quel est l'avenir des œuvres d'art, des représentations de
la réalité et des souvenirs. Il n'y a qu'à regarder son cellulaire
pour que tout disparaisse. Le monde nous laisse.
De
marbre.
Vive les cellosaures et les marches dans le bois!
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