mercredi 29 mai 2013

Les coudes

Tu m'as demandé d'écrire un texte sur toi, un texte à la vue de tous qui exprimerait ce que tu vaux pour moi, à quel point je découvre un nouveau monde en ta compagnie, comment je me laisse charmer et surprendre à chaque rencontre, où je nous vois nous diriger.
Tu m'as demandé un texte, alors que tu sais très bien que je travaille mal sous la pression, que je déteste qu'on me dicte quoi faire, que les directives n'existent pour moi que dans le but d'une transgression. Je n'ai pas voulu suivre ton conseil déguisé en demande, j'ai pris ma voie habituelle (l'entêtement) et j'ai bûché pour pondre un texte sur les cyclistes dangereux sur les routes de campagne sinueuses, sur les effroyables erreurs que je peux retrouver sur l'adresse des lettres et colis que je livre, sur l'absence de transition entre un printemps ordinaire et un été qui s'annonce différent, sur ma tête qui s'emporte encore à l'approche de la saison estivale, sur les escargots qui pullulent en ces temps pluvieux. Aucun de ces textes ne méritait une publication immédiate ici car aucun ne m'enflammait vraiment.
À l'opposé, l'une de nos divagations m'a marqué. Tes coudes. Je plaisantais sur le défi d'écrire sur tes coudes, mais l'idée ne me semble pas si farfelue, au final.
Que représente un coude? Oui, bien sûr, une articulation. Mais où commence et où se termine le coude? Porte-t-on parfois vraiment attention aux coudes?
J'ai vu une vieille dame jogger ce matin. D'abord frappé par ses souliers citron lime fluorescents, j'ai ensuite baigné dans la surabondance de son parfum et son désodorisant corporel. Une fois qu'elle m'a dépassé, j'ai vu ses coudes. Deux horribles plaques asséchées, ternes, bariolées de rougeurs et d'ombres, de peau pendouillante, deux raisons de porter des manches longues même à trente-cinq degrés. J'ai tout de suite tourné mes bras dans tous les sens pour vérifier l'hydratation de mes propres coudes. Je n'ai plus vingt ans, mais le tout peut encore se réparer, à force de crèmes hydratantes.
Et puis j'ai pensé à toi. Pas à cause des coudes, sinon le lien laisserait un peu à désirer. Non, j'ai pensé à toi tout bonnement, sans lien avec la dame découdée (on dit bien défigurée, alors j'ai adapté le mot. Vive les néologismes).
J'ai pensé à ta peau douce et généralement bien hydratée. Tes bras m'inspirent les caresses, l'étreinte enveloppante de la chaleur humaine souhaitée, la force naissante de notre lien. Tes bras n'évoqueraient pas ces concepts sans coudes.
Le coude, dans toute son innocence, reste indispensable aux bras. Ces derniers embarrasseraient leur propriétaire sans cette articulation, ils encombreraient par leur longueur extravagante, leur malléabilité restreinte et l'ampleur ridicule de n'importe quel mouvement. Les coudes ne sauraient exister sans des bras complets non plus. En coupant le haut du bras, on perd le coude et tout le reste. Une absence d'avant-bras ne l'empêcherait pas de terminer un bras, mais il ne pourrait pas bouger, faute de points d'appui pour les tendons.
Au fond, les coudes passent inaperçus et jouent pourtant pour beaucoup. Tout comme les moments simples que nous passons ensemble. Sur le coup, ils semblent anodins, mais nous ne développerions jamais de «nous» sans eux. Les petits instants articulent les grands, ils assurent une constance dans notre histoire et ils ne sautent pas aux yeux de tout le monde, même pas aux nôtres lorsque nous ne les cherchons pas.
Nous deux, c'est une histoire de coudes.
Je peux blâmer la fatigue, le soleil, les coudes affreux de la joggeuse ou le confort de tes bras, mais je vois encore le monde de travers.

dimanche 26 mai 2013

Clivage

Qu'est-ce que le clivage, me demanderez-vous? Rien à voir avec le terme anglais cleavage, désignant un décolleté.
Le clivage fait partie de l'élite des mécanismes de défense freudiens. Tout le monde s'en sert, alors on peut le retrouver assez rapidement en se penchant sur un cas. Bien sûr, rien ne peut battre le refoulement, mécanisme si commun que le terme en devient employé à toutes les sauces. Les connaisseurs s'entendront tout de même sur la valeur du clivage.
Ah, ce cher clivage! Il paraît tout simple, mais se révèle d'une complexité parfois absurdement démesurée. En résumé, il est l'action inconsciente de séparer des parties de soi pour éviter de gérer les incongruités. Il se manifeste souvent par des phrases du genre «Une partie de moi est X, mais une autre est aussi Y». Ce faisant, les deux concepts contradictoires ou du moins incompatibles en apparences peuvent cohabiter dans une personnalité scindée en deux «côtés» distincts.
Le clivage ne se fait pas que de façon inconsciente, il apparaît évident lorsque nous observons une autre personne. «Il est si intelligent, mais il lui arrive de temps en temps d'agir en stupide» «Il est gai, mais il sait aussi faire le changement d'huile de son pick-up». Ça ne semble peut-être pas si clair. Il s'agit seulement de séparer les deux concepts qu'on ne veut pas faire coïncider.
Ce qui m'amène à mon propre cas. Une personne (fine observatrice avec de belles fesses en plus) m'a fait un drôle de compliment, tout récemment: «Vous êtes davantage un esprit qu'un corps».
Je vous laisse digérer la phrase. Pour moi, ce n'est pas encore fait.
Ce que cette personne voulait dire, c'est qu'on peut prioriser sa tête ou son corps, mais pas les deux. Les gens qui s'intéressent à mon physique ne remarquent peut-être pas ce qui m'est le plus cher chez moi. Ceux qui ne me voient pas mais me lisent ou m'entendent se tournent vers ce que j'aime le plus valoriser.
Peut-on être les deux à la fois? Certainement. Enfin peut-être. Est-ce que les besoins physiques imposent leur loi à la pensée, ou bien cette dernière gouverne et manipule un corps sans contrôle? Et s'il existait un entre-deux, un locus de contrôle dirigé autant par l'un que par l'autre?
Un mécanicien peut être gai et en être conscient alors qu'il travaille sur un moteur de char. Un génie peut être nul dans certains domaines et s'y voir confronté dans l'exercice de son génie.
Alors puis-je être un corps autant qu'une tête?

vendredi 24 mai 2013

Déclaration 15

Bon, encore une déclaration d'amour à quelque chose d'inanimé, d'insensé ou d'étrange.

J'aime la pluie.
Oui, j'admets que ma déclaration sonne commanditée par Météo Média.
Ces derniers jours, je travaille à l'extérieur, bravant les intempéries, les chauffards, le stress, les adresses écrites en microscopiques caractères et les animaux divers traversant la chaussée (chevreuils, lièvres, canes, petits oiseaux insignifiants, marmottes, chiens, chats, chatons, hybrides de chat et de raton laveur, vaches, personnes âgées, prochainement des rhinocéros si l'espèce ne s'éteint pas d'ici la semaine prochaine). Ces derniers jours, il pleut à peu près tout le temps.
N'importe qui de sain d'esprit n'aime pas travailler à l'extérieur lorsque le temps pluvieux jouit de sa toute-puissance. Je dois avoir perdu la tête quelque part.
Ce que j'aime de la pluie ces temps-ci, me demandez-vous? J'aime que cette pluie me harcèle sans cesse car elle me rappelle que je sors enfin de mon trop long moment sans emploi. Elle s'assure qu'à chaque minute, je me sente privilégié de pouvoir exercer ce métier, heureux de recevoir un salaire pour faire autre chose que rester chez moi à ne pas dépenser. Elle me garde en contact constant avec la réalité, la fatalité d'éléments que nous ne pouvons pas contrôler et les réactions singulières de ceux qui s'y exposent.
Avez-vous déjà vu un VTT muni d'un habitacle fait maison avec des 2X4 et de vieilles planches de contreplaqué? Un vieux vêtu de pantalons imperméables agrémentés d'un immense poncho jaune fluo et d'un chapeau en forme de parapluie au motif du drapeau fleurdelisé? Les gens qui sortent de la maison par temps pluvieux imitent aussi très bien les petits animaux qui tentent de traverser la route: ils courent, mais seulement pour mieux se faire prendre.
J'aime aussi le petit frisson que causent les vêtements mouillés à chaque mouvement. J'aime oublier l'inconfort afin de poursuivre mon travail, tenter d'en faire abstraction pour mieux organiser mes pensées et chanter de vieilles chansons vraiment fort dans mon auto alors que je frise autant que Diana Ross. Je me sens aussi moins facilement déshydraté dans un environnement si humide.
N'allez pas croire que je préfère la pluie au soleil. J'aime bien les deux. Seulement, déclarer aimer la pluie fait plus original.

Note: Ne chantez pas I'm singing in the rain pendant la saison de l'épandage du fumier. Vous risquez de vomir les paroles et d'énerver les personnes environnantes avec cette chanson usée.

mardi 14 mai 2013

Homme cherche emploi


Aujourd'hui, j'ai tout mis en œuvre pour éviter des tâches devenues très urgentes. J'ai profité d'une explication à rendre à ma fréquentation pour étirer le sujet, pour lui livrer le fond de ma pensée et m'assurer que nous ne nous levions pas trop tôt, ou du moins pas assez tôt pour me permettre d'aller à la chasse à l'emploi encore une fois.
Jadis, j'aimais presque ce processus de distribution des curriculum vitae où je n'avais qu'à sélectionner deux ou trois établissements intéressants, leur laisser mes deux pages de résumé sur mon parcours professionnel et de formation, puis attendre les deux ou trois appels pour une entrevue, bien entendu tous venus dans les trois jours. J'allais alors à chaque rendez-vous pour transpirer l'honnêteté devant les recruteurs tout en leur fournissant les réponses qu'ils voulaient entendre. Il ne me restait plus qu'à attendre le dernier appel, celui m'indiquant les conditions de travail, l'horaire estimé et le salaire. Je n'ai toujours offert mes services qu'au plus offrant, laissant les autres trouver un candidat moins intéressant que moi.
Depuis, les choses ont vraiment changé. La plupart des employés à qui je remets mon CV me servent leur air de «je n'ai pas que ça à faire, visiblement tu ne représentes pas ce que nous recherchons alors disparais». Plusieurs roulent les yeux et me font sèchement savoir que je dois aller sur leur site Internet, répondre au test de personnalité, y télécharger mon CV ainsi qu'une lettre de présentation, résoudre l'énigme du sphinx, faire trois tours sur moi-même et attendre patiemment qu'un poste répondant à mes qualifications s'ouvre. Et lorsque je leur signale qu'une énorme affichette dans la vitrine prétend à un besoin urgent de personnel, on me dit encore plus sèchement que je dois respecter la procédure. Intérieurement, je leur réponds avec l'amabilité d'une pelletée de sable qu'ils peuvent bien se les mettre où je pense, leurs procédures compliquées. D'autres me semblent plus gentils et prennent mes deux petites pages de papier recyclé avec un joli sourire tout en me signifiant que le poste affiché a malheureusement déjà trouvé preneur, mais qu'ils me rappelleront dès qu'ils en sentiront le besoin, après tout le nouvel employé pourrait ne pas convenir et ils sentent que je ferais bien l'affaire. Ils ont aussi tendance à me saluer avec un encore plus grand sourire et souhaiter de me revoir bientôt. J'aime mieux ceux-là.
Au fond, si le processus de recherche d'emploi me décourage tant ces derniers temps, tout cela découle du fait que je ne pense pas pouvoir continuer dans ce type d'emploi trop commun.
J'ai envie d'aventure, d'incertitude, de liberté, de libre-pensée, du sentiment d'avoir une place unique, d'effectuer un travail irremplaçable et de savoir que je pourrai remplir mes tâches sans piétiner mes principes. J'ai envie d'un emploi moins typique, de sortir des sentiers battus, voire devenir mon propre patron. Je ne peux plus supporter les horaires changeants et si prévisibles à la fois, le salaire cruellement inférieur à l'apport que mon travail procure à la compagnie, les collègues interchangeables par centaines, les clients tarés, l'empêtrement dans un dédale de procédures inutiles, l'étouffement des règles bidons, la structure interminable de la hiérarchie organisationnelle, les problèmes de paie qui prennent des semaines à se régler alors que j'ai tant de paiements à effectuer, les demandes saugrenues des patrons débiles et débilitants, le sentiment de ne rien apporter au monde qui se confirme à chaque quart de travail qui de toute façon ressemble à s'y méprendre au quart précédent et au suivant.
Je me sens prêt pour un nouveau défi, pour sortir enfin de cette structure capitaliste hiérarchisée qui ne mène plus à rien car les plus grandes entreprises se plantent toutes en chœur, les petites organisations ont la cote et les travailleurs n'en peuvent plus de subir les affres d'un système désuet depuis une bonne quinzaine d'années.
Si ça se trouve, j'irai planter des arbres à l'autre bout du monde, je réviserai des scénarios de films ou je rédigerai des textes pour chaque concours littéraire existant.
D'ici là, je boude tout en cherchant l'une de ces trois opportunités.

lundi 13 mai 2013

Déclaration 14

Comme je ne tenais pas non plus à abandonner totalement ma formule «déclaration», je prends une pause de ma pause l'instant d'une petite récidive.

J'aime rire.
Qui n'aime pas ça? Oui mais pour moi, ça signifie quelque chose.
Je connais plusieurs types de rire. Certains sont anodins, d'autres plutôt forcés ou demandés et les derniers viennent des entrailles et sortent en éclats.
Des rires sans histoire, nous pouvons tous les compter par milliers. Ils surviennent lorsqu'une vieille dame fonce directement sur une fenêtre, lorsqu'un vieux monsieur qui passe par là a la perruque de travers, lorsque nous entendons une conversation idiote juste à côté ou lorsqu'un chat fait son mignon. Ils viennent et disparaissent aussi vite, somme toute très peu marquants.
Les rires forcés découlent souvent d'une obligation ou d'un malaise. Un humoriste fait une blague qui tombe à plat, puis les multiplie et on se sent obligés de rire pour éviter le malaise. Quelqu'un dit quelque chose du genre «Non mais tu ne croyais pas vraiment que la Tunisie était en Asie» et on rit nerveusement sans oser avouer que si, ce nom sonne très asiatique et qu'on revoit finalement la carte du monde et la découpe des continents parce que décidément, ça ne colle pas avec le reste de l'Afrique. Un patron tente de faire un brin d'humour mais il y échoue lamentablement alors nous rions poliment pour rester dans ses bonnes grâces tout en le maudissant intérieurement d'exister et de nous pourrir la vie parce que déjà un emploi au salaire minimum c'est chiant, en plus on n'a pas à endurer un tel con et s'abaisser à son humour débile. Bon, vous voyez le portrait là.
Heureusement, il y a le troisième type de rire.
Hier soir, j'ai passé quelques heures à me ventiler les tripes et rire à en perdre la voix. Bon, ma voix n'est pas si difficile à briser, mais quand même, je me suis vraiment amusé. Ma soirée fut simple, avec cette amie tout est toujours simple et nous laissons nos cerveaux s'emporter dans les pires délires et nous rions si fort qu'elle en a recraché son lait d'amande non sucré par le nez. J'ai ri au point de manquer d'air et produire des sons grinçants incontrôlables. Nous avons ri de voir l'autre rire, ri de ne plus se rappeler le déclencheur de cette hilarité croissante. Ce rire provient de la connexion entre elle et moi, des liens douteux que nous établissons entre des éléments disparates, des références boiteuses à des concepts souvent mal interprétés. Nos rires surgissent parfois avec les souvenirs, les gaffes et drôleries du passé.
Si nous rions tant, c'est que nous échangeons autant. Ainsi, l'amitié supplante pour moi n'importe quel spectacle d'humour, n'importe quelle malchance du quotidien.
Si j'aime rire, c'est parce que j'aime sentir une connexion avec certaines personnes.

dimanche 12 mai 2013

Ce texte n'est pas pour moi


Devant sa propre complexité, on ne sait pas par où commencer, dans quel recoin installer une base solide pour se hisser hors de ses eaux troubles, hors de la tourmente qui souvent revient trop vite, trop fort et toujours plus haute. Il n'y a pas plus fatal pour un esprit en construction qu'une personne aussi complexe que soi, quelqu'un au raisonnement scarifié, aux émotions travesties en pensées, aux réflexes dictés par un transfert souvent démesuré, dénaturé.
Ces derniers temps, j'ai rencontré une personne aussi blessée par elle-même, aussi coupée de l'humain normal que moi. Cet individu me ramène à mon trouble, me rend toujours plus conscient de mes cicatrices, de mes illogismes évanescents, il projette sur moi ses propres idées et je lui balance les miennes en plein visage et pourtant, malgré toute la douleur et le malaise avec nous-mêmes que nous nous causons, je réussis à le connaître et à voir au-delà de cette barrière du passé, à admirer son esprit créatif et sa vision sans cesse épatée de ces instants de magie que la plupart des gens ne remarquent pas, à l'écouter les yeux fermés pour laisser ses mots me raconter sa vie et ses expériences parfois traumatisantes, à vibrer devant son sourire qui semble sortir du néant et en devient alors encore plus beau car il n'est jamais forcé, à apprécier non seulement son corps mais surtout ses mouvements si peu filtrés par la raison.
Je m'abreuve de sa présence et à ses côtés, je sens mon trouble cesser sa croissance et me laisser respirer un brin. L'image est sa passion et pour faire écho à ses propos, son image me plaît et pour une fois, l'image de moi qu'il me renvoie ne m'importe peu.
J'ai passé tellement de temps à m'observer par les yeux des autres, à chercher à les émerveiller tout en m'y perdant et à fuir lorsque j'y parvenais. À chaque fois, je me décourageais devant quelqu'un qui se laissait prendre à mon jeu, qui se faisait une image de moi selon ce que je désirais projeter, qui y croyait et ne voulait pas me laisser partir, à chaque fois je fuyais, dégoûté par cet autre qui ne m'appréciait jamais vraiment pour moi, je me plaignais qu'une image vienne toujours supplanter mon vrai moi.
J'ai toujours dit qu'une personne ne peut espérer une histoire sérieuse avec une autre tant qu'elle ne peut pas être bien avec soi-même. J'ai passé quelques mois à me construire au-dessus de mes remous, à m'aimer petit à petit et coller à mon cerveau plutôt créatif, à me libérer des contraintes que je m'imposais en jetant le blâme de leur existence sur les autres, à me guérir de ces relations basées sur des barrières, des mystères ou des secrets, à maudire ces années passées à répéter le même scénario sans arrêt et parfois avec plusieurs personnes simultanément tout en cassant les oreilles de mes amis avec la même rengaine, à finalement accepter mon imperfection et tenter d'en tirer parti.
Je sais que cette personne me lit. Tu n'aimeras pas mon texte car il ne ressemble en rien à ce que tu voulais y retrouver; il ne dépeint pas notre relation et ne couvre pas d'éloges non plus. Mon texte est plutôt honnête, ancré dans ce que je sens en ce moment et libéré de mes habitudes stylistiques. Tu m'avais demandé un texte honnête et ce n'est que maintenant, en manque de caféine, moyennement reposé, las de me cloîtrer chez moi, trop bien hydraté et blasé d'écrire les échanges du fantôme d'une vieille dame et d'un jeune homme, que je suis disposé à farfouiller en moi à la recherche d'un bout de texte à t'écrire. Ce texte est bel et bien pour toi et inspiré par toi.
Pour une fois, je n'ai pas écrit pour moi.
Pour une fois, je me vois de travers en espérant que tu me comprennes.

vendredi 10 mai 2013

Timing

Le timing modifie le temps, là-dessus je ne dis rien de nouveau. Un après-midi, je mémorisais la scène remplie de touristes de cette chute d'eau trop connue. Tu y chassais les reflets, à la recherche du cliché monumental qui brillerait dans ton exposition à venir.
J'ai voulu te faire découvrir une plus petite chute, un site de quartier plus tranquille où personne ne te bousculerait alors que tu t'excites derrière ton appareil. Une fois installés au pied d'un rapide, sur de roches ultra glissantes, tu as vu cette fille agenouillée au bord de l'eau, un peu plus bas. À ses genoux, un jeune homme s'était cogné la tête, le dos, le coude, peu importe mais il ne bougeait pas et elle lui tenait la tête hors de la rivière, elle lui parlait pour éviter le coma, la mort ou juste pour passer son stress dans des paroles vides et bien moulinées.
Le temps s'est figé pour toi qui voulait savoir ce qu'il adviendrait du blessé, pour toi qui jugeait les badauds attroupés par ce peu d'action, tous immobiles, les bras croisés à ne pas réfléchir et se rincer l’œil de cet imprévu qui brise quelques minutes de leur monotonie permanente.
Le temps pour moi s'est ralenti et non figé. J'avais le temps d'écrire cent mots avant de me retourner et de retrouver exactement la même configuration d'acteurs que lors du coup d’œil précédent. J'avais le temps de t'imaginer te balader au bord d'une plage d'énormes cailloux, sous la douche d'un oasis tropical perdu dans une forêt de palmiers, n'importe où en fait, pourvu que j'y sois aussi et personne d'autre, juste nous au milieu de rien.
Sans ce timing pour arriver au moment même où les secours se sont mis à débouler la pente herbeuse, je n'aurais pas réalisé ce fossé perceptif qui nous sépare à notre insu. Toi qui viens d'arriver au pays, tu t'émerveilles et tu observes jusqu'à ce que tes yeux de gamin s'assèchent, moi qui y stagne depuis vingt-cinq ans avec le sentiment d'avoir tout vu, mais au moins je redécouvre souvent mon monde sous un nouvel angle, je te regarde regarder et tout redevient beau, tout reprend son éclat des débuts.
J'observe cet enfant intérieur et je m'y attache de plus en plus, je me dis qu'au bon moment, je l'ai croisé et je me suis retrouvé.

jeudi 9 mai 2013

La pelle

Quatorze déclarations ont le défaut de devenir lassantes. Je n'aime pas me contraindre à une formule prédéfinie et je varie donc un peu avant de repartir de plus belle dans mes déclarations. Après tout, j'écris bien autre chose.

La pelle à côté de moi y repose depuis au moins cent ans. La peinture écaillée s'est en partie couverte de rouille et de temps durs. Immobile, elle fixe la rivière sans suivre ses rapides et ses remous, après tout ce n'est qu'une pelle, ne lui en demandons pas trop. Elle attend que son propriétaire vienne la chercher ou que le monde s'éteigne, selon son humeur instable d'outil ancien.
Son histoire ne se raconte pas car qui voudrait entendre les profondeurs de la vie d'une pelle? Mais elle n'est pas qu'une vieillerie abandonnée sous un pont. L'un des côtés de sa partie métallique se recourbe sous le poids ou l'effort d'un traumatisme.
Peut-être a-t-elle été contrainte à enterrer un cadavre? Les remords la tordent de honte et de culpabilité. Elle a fermé les yeux tout au long de l'opération et se les ai caché avec ce rebord autrefois acéré.
Peut-être a-t-elle été blessée d'une brève histoire sans lendemain avec une roche. Sans s'y attendre, toutes deux se sont fracassées l'une contre l'autre, chacune en travers des plans qu'elles croyaient devoir suivre. Le minéral aura perdu un éclat de sa masse, cicatrice calcaire sans suture possible. Le métal de la pelle se sera blotti contre lui-même de peur de heurter un autre objet sans défense.
Peu importe le scénario, cette relique transmet sa gêne de ne pouvoir qu'être utilisée pour défigurer le sol ou toute forme rencontrée. Sa honte demeure alors que les millions de litres de la rivière passent sans soucis. Triste et tragique, elle laisse le temps couler et la frôler sans jamais l'emporter.
Elle en est sûrement venue à maudire la personne qui a voulu la sortir de chez elle. Les lointains souvenirs d'un râteau, une tondeuse et un marteau à l'oreille manquante lui reviennent. Ses copains de hangar ont pu poursuivre leur destinée, s'user aux mains d'un gros monsieur tout gris à l'haleine de Molson Dry tablette et Doritos au fromage. Elle n'aura pas cette chance.
Seule, elle ne représente plus rien qu'une époque révolue où elle fut utile, un vestige du passage d'un humain sans cœur qui a cru bon la sortir de son esclavage après une petite besogne en pleine nature. Cette pauvre pelle fut donc kidnappée, violée de ses droits pour enterrer un cadavre, puis jetée au milieu des bois comme une ordure.

Si je m'inquiète de cette pelle, c'est que nous ne sommes pas si différents. Je me sens seul devant un courant immense, incongru parmi quelques grosses roches et les restes d'un feu parsemé de bouteilles vides. Je contemple le temps passer en emportant tous les autres, sauf moi, sauf ces roches qui se laissent inonder sans broncher pour mieux refaire surface ensuite, lavées de leur attitude, leurs expériences foireuses et éphémères. Elles ne se rappellent sûrement même pas avoir fait partie de la rivière à un moment: après tout, ce ne sont que des agglomérations de minéraux sans cervelle (sans offense).
J'ai peur de contempler la rivière si longtemps qu'elle se sera tari avant qu'un idiot impulsif ne me jette à l'eau. Ma place n'est pas là, appuyé sur un pont à ne rien faire. Je devrais creuser mon chemin, modifier mon entourage, détourner un cours d'eau qui se dirige tout droit vers une chute mortelle et impitoyablement photographiée par des touristes qui n'en ont rien à cirer des souvenirs qui y sont précipités à chaque seconde.
Si la pelle est un outil, je suis mon propre instrument de labeur et de changement, l'instaurateur de ma propre destinée car moi seul sait comment me servir de moi pour le mieux. Ou pour le pire, selon mon humeur.
J'ai l'air d'un demeuré qui s'émeut devant une vieille pelle qui se dégrade. Au fond, je me regarde à travers cette image banale qui pour moi peut prendre n'importe quel sens.
Les images ne portent aucun sens, nous le faisons bien pour elles.

(Je ne réussis pas à mettre la photo du bon côté ici, alors qu'elle l'est normalement. Tournez-vous la tête et l'illusion sera parfaite)

lundi 6 mai 2013

Déclaration 14

Bon, un peu moins de temps entre mes deux textes, mais tout de même trop. Trop de jours à faire quoi? Vivre, rouler, dormir, bronzer au soleil inhabituellement chaud du début mai.

J'aime que le temps cesse de suivre son cours normal, juste pour moi.
Égocentrisme? Oui. Humilité? À quoi bon.
Le temps, personne n'y peut rien. Du moins, c'est ce qu'on croit, ce qu'on tente de nous graver dans la tête. Il faudrait le laisser passer sans rien dire, se réveiller vieux et se dire «Ah bon, il est passé, je passerai aussi», mais en fait ce serait s'avouer vaincu d'avance.
Le temps est subjectif, très subjectif même. Il ne change jamais de rythme, sinon la vie serait infernale pour tout le monde. Mais notre perception s'altère. Ces dernières semaines, j'accumule les plaisirs et je me fous de lui, il coule et je profite de son absence pour vivre. Loin de mes contraintes habituelles, de mon horaire prévu au quart de tour de force où je m'obstine à multiplier les retards juste pour me désobéir, loin du stress constant de manquer quelque chose ou de m'éterniser, loin des jours qui se ressemblaient tous, je me sens seul dans un monde de possibilités intemporelles.
De mon point de vue, j'ai enfin pris le contrôle du temps. Il me prend parfois l'envie de dévisager une horloge et de lui rire en plein visage, mais les gens autour risquent de craindre pour ma santé mentale. Déjà qu'au départ... Bref, là n'est pas le sujet. Je peux maintenant figer ou précipiter les secondes car je me suis libéré de moi, de mon désir d'emprise à la minute près sur ce qui de toute façon ne pouvait que m'échapper. Un son incongru d'une fraction de seconde se prolonge maintenant dans un écho inconscient où je m'interroge sur sa place dans mon univers, sur son impact et sa présence même. Une attente de trois éternités et quart chez le médecin se transforme en une scène de trente secondes entrecoupées par mes pensées, une sorte de pot pourri des meilleurs moments de cette salle d'attente.
J'arrive tout de même plus ou moins à l'heure là où on m'attend, là où je dois me rendre avant une certaine limite afin de bénéficier de ce qui m'y attend. La plupart du temps, je me laisse déconnecter du rythme humain qui ne sert qu'à nous couper de notre humanité.
Bref, j'aime bien avoir le sentiment d'échapper à une contrainte sociale écrasante. Plutôt que de vivre selon des barèmes imposés par tous et donc personne, je me concentre sur mes besoins, mes envies, mes obligations raréfiées. Je me sens libre.
Au final, j'aime ma nouvelle liberté. J'aime perdre les rênes auxquelles je tenais tant et me laisser aller. J'aime n'avoir de contrôle que sur ma perception du temps qui passe, entretenir l'impression de le modifier à ma guise.
Et pour reprendre mon ancienne signature, c'est à ce moment que je vois le monde de travers, encore.

mercredi 1 mai 2013

Déclaration hyper tardive 13

QUOI!?! Je viens de passer un peu plus de deux semaines sans écrire un seul mot ici, sans jamais me vider ce cœur dans ma tête sous forme de phrases confuses et publiées avant même d'être relues? Pfff, non mais qu'est-ce qui a bien pu me passer par la tête?
Plutôt que de me pencher sur cette épineuse question, je reprendrai là où je me suis arrêté.

J'aime l'indisponibilité.
Quoi? J'explique, ne paniquez pas.
Ceux qui me connaissent ont tous déjà rencontré mon cellosaure, un solide gaillard répondant au nom de Samsung a640 (voir la photo ci-jointe).

Un tel engin inspirait la technologie avancée lors de son achat, il y a environ sept ans. Au rythme où se développent les moyens de communication, mon appareil s'est vite démodé, au point où certaines fonctions sont devenues carrément inutiles par désuétude. Les appels fonctionnent, les textos entrent la plupart du temps et la batterie garde sa charge plus longtemps que la moyenne, puisqu'il n'y a rien de fastidieux à alimenter. Par contre, oubliez les photos, vidéos, smileys, caractères spéciaux, accents et textes de plus de 60 caractères, lesquels se divisent en cinq ou six morceaux arrivant dans un ordre très aléatoire et un temps indécemment long.
L'avantage de posséder un appareil si dépassé réside dans le fait de son incompatibilité avec les nouveaux appareils et l'usage abusif que les autres en font. Comprendre: il me fournit une excuse indiscutable pour ne pas être facilement rejoignable.
«T'as vu ma photo sur Facebook?» Non, je la verrai lorsque je serai de retour à la maison.
«As-tu eu mon message?» Oui, mais je sais que tu ne peux pas savoir quand je l'ai reçu et je n'ai ni le temps, ni l'envie de te répondre dans la seconde qui suit. Au pire, je ne l'ai vraiment pas reçu.
«Ça ne marche pas lorsque je t'envoie un message photo?» La qualité d'image se calcule en pixels et non en mégapixels sur mon téléphone. Même si je la recevais, ça deviendrait du cubisme.
«T'es fâché? Tu ne réponds pas vite.» Lorsque je dois appuyer huit fois sur une touche pour faire un 3, attendre une seconde pour y réappuyer deux fois et faire un E, puis cinq fois sur une autre pour un point d'exclamation, ne t'attends pas à ce que je réponde un texte de quatorze pages en relief dont une partie est en coréen. Je synthétise ce que j'ai à dire. Je te conseillerais de faire la même chose.
Ce qui me plaît le plus de Cellosaure (en fait, c'est son petit nom), c'est qu'il fait peur aux gens. Beaucoup n'osent pas me harceler, de peur de faire exploser mon engin préhistorique. Leurs options se résument aussi à un appel, un message vocal, un texto et un signal de fumée ou pigeon voyageur. Pas de Facebook mobile, Skype, feu MSN, Blackberry Messenger, ICQ (vintage, je sais!), sites de rencontres quelconques, Twitter, Hotmail, Gmail, Outlook, courriel ULaval, Tumblr et autres. Un téléphone sans Internet, et bien c'est un téléphone, pas un ramassis de façons de manifester sa présence sans vraiment avoir quelque chose à dire.
Donc, j'aime mon a640.
Ce texte se veut un hommage à cette vieille technologie captant presque le télégraphe, un cellulaire qui convient très bien à mon style de vie et mon indépendance envahissante.
N'empêche que parfois, j'aimerais pouvoir texter aussi vite que les autres...