vendredi 10 mai 2013

Timing

Le timing modifie le temps, là-dessus je ne dis rien de nouveau. Un après-midi, je mémorisais la scène remplie de touristes de cette chute d'eau trop connue. Tu y chassais les reflets, à la recherche du cliché monumental qui brillerait dans ton exposition à venir.
J'ai voulu te faire découvrir une plus petite chute, un site de quartier plus tranquille où personne ne te bousculerait alors que tu t'excites derrière ton appareil. Une fois installés au pied d'un rapide, sur de roches ultra glissantes, tu as vu cette fille agenouillée au bord de l'eau, un peu plus bas. À ses genoux, un jeune homme s'était cogné la tête, le dos, le coude, peu importe mais il ne bougeait pas et elle lui tenait la tête hors de la rivière, elle lui parlait pour éviter le coma, la mort ou juste pour passer son stress dans des paroles vides et bien moulinées.
Le temps s'est figé pour toi qui voulait savoir ce qu'il adviendrait du blessé, pour toi qui jugeait les badauds attroupés par ce peu d'action, tous immobiles, les bras croisés à ne pas réfléchir et se rincer l’œil de cet imprévu qui brise quelques minutes de leur monotonie permanente.
Le temps pour moi s'est ralenti et non figé. J'avais le temps d'écrire cent mots avant de me retourner et de retrouver exactement la même configuration d'acteurs que lors du coup d’œil précédent. J'avais le temps de t'imaginer te balader au bord d'une plage d'énormes cailloux, sous la douche d'un oasis tropical perdu dans une forêt de palmiers, n'importe où en fait, pourvu que j'y sois aussi et personne d'autre, juste nous au milieu de rien.
Sans ce timing pour arriver au moment même où les secours se sont mis à débouler la pente herbeuse, je n'aurais pas réalisé ce fossé perceptif qui nous sépare à notre insu. Toi qui viens d'arriver au pays, tu t'émerveilles et tu observes jusqu'à ce que tes yeux de gamin s'assèchent, moi qui y stagne depuis vingt-cinq ans avec le sentiment d'avoir tout vu, mais au moins je redécouvre souvent mon monde sous un nouvel angle, je te regarde regarder et tout redevient beau, tout reprend son éclat des débuts.
J'observe cet enfant intérieur et je m'y attache de plus en plus, je me dis qu'au bon moment, je l'ai croisé et je me suis retrouvé.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire