Le timing modifie le
temps, là-dessus je ne dis rien de nouveau. Un après-midi, je mémorisais la scène
remplie de touristes de cette chute d'eau trop connue. Tu y chassais
les reflets, à la recherche du cliché monumental qui brillerait
dans ton exposition à venir.
J'ai voulu te
faire découvrir une plus petite chute, un site de quartier plus tranquille où
personne ne te bousculerait alors que tu t'excites derrière ton
appareil. Une fois installés au pied d'un rapide, sur de roches
ultra glissantes, tu as vu cette fille agenouillée au bord de l'eau,
un peu plus bas. À ses genoux, un jeune homme s'était cogné la
tête, le dos, le coude, peu importe mais il ne bougeait pas et elle
lui tenait la tête hors de la rivière, elle lui parlait pour éviter
le coma, la mort ou juste pour passer son stress dans des paroles
vides et bien moulinées.
Le temps s'est figé
pour toi qui voulait savoir ce qu'il adviendrait du blessé, pour toi
qui jugeait les badauds attroupés par ce peu d'action, tous
immobiles, les bras croisés à ne pas réfléchir et se rincer l’œil
de cet imprévu qui brise quelques minutes de leur monotonie
permanente.
Le temps pour moi
s'est ralenti et non figé. J'avais le temps d'écrire cent mots
avant de me retourner et de retrouver exactement la même
configuration d'acteurs que lors du coup d’œil précédent.
J'avais le temps de t'imaginer te balader au bord d'une plage
d'énormes cailloux, sous la douche d'un oasis tropical perdu dans
une forêt de palmiers, n'importe où en fait, pourvu que j'y sois
aussi et personne d'autre, juste nous au milieu de rien.
Sans ce timing pour
arriver au moment même où les secours se sont mis à débouler la
pente herbeuse, je n'aurais pas réalisé ce fossé perceptif qui
nous sépare à notre insu. Toi qui viens d'arriver au pays, tu
t'émerveilles et tu observes jusqu'à ce que tes yeux de gamin
s'assèchent, moi qui y stagne depuis vingt-cinq ans avec le
sentiment d'avoir tout vu, mais au moins je redécouvre souvent mon
monde sous un nouvel angle, je te regarde regarder et tout redevient
beau, tout reprend son éclat des débuts.
J'observe cet enfant
intérieur et je m'y attache de plus en plus, je me dis qu'au bon
moment, je l'ai croisé et je me suis retrouvé.
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