jeudi 4 juillet 2013

Passion motorisée

Sur le chemin vers la résidence familiale, je me suis retrouvé dans un embouteillage monstre. La situation n'a rien de surprenant à prime abord. Sauf que je me trouvais dans un dédale de petites rues de fin de banlieue, en plein milieu d'un dimanche après-midi.
Juste à côté d'un site touristique enchanteur, sur le long de la seule rue reliant les deux villes encadrant ce même site, des milliers de fouineurs gambadaient à pas d'escargot. Les voitures (pare-chocs à pare-chocs) roulaient à un fulgurant dix km/h et s'arrêtaient sans avertir pour pointer. Et des bras qui sortent du côté passager au risque de happer une vieille dame ou une poussette, j'en ai vu beaucoup.
Sur le joli gazon tout vert, des centaines de vieux chars gisaient là, en attente de reprendre la route en plein embouteillage infernal et déplacé. Des ornières partout, des canettes de bière et des croustilles semées ça et là. Comment tenter d'en mettre plein la vue avec une vieillerie bien conservée et polluante, alors que le panorama se gâche complètement pour l'occasion. Et les conversations qu'on y entend! Rien de ce qu'on y voit ou entend n'aide à redorer le portrait.
Malgré la pollution, les mots sans valeur et le ridicule de la situation, un tel cirque peut éviter la catastrophe et causer une bonne réflexion.
Si je me permets de décrire ainsi cette foire aux antiquités roulantes, c'est que j'y suis déjà allé à deux reprises, plusieurs années auparavant. Je suivais mon père, content de l'accompagner et de pouvoir le côtoyer un peu plus, mais horriblement blasé par l'exposition. Et mon père de s'arrêter à chaque modèle dont il rêvait quarante ans plus tôt, alors qu'il n'était qu'un gamin féru de gros chars sports. Il demandait aux vieux messieurs gris, bedonnants, sales et à moitié ivres les informations de base. L'année de fabrication, le moteur, quand la peinture avait été refaite, qui étaient les propriétaires précédents. Chaque pièce ressemblait davantage à la précédente qu'à la suivante.
Cette exposition m'a jadis fait ressentir ma traditionnelle peur du vide. J'avais peur de devenir comme ces vieux messieurs (considérant que mon père est poli et curieux, donc vraiment pas comme eux) et de parler du vide dans le vide. De faire graviter ma vie et mes loisirs autour d'une machine, un vulgaire objet auquel on a attribué trop de valeur, trop d'importance. Je me suis juré de ne jamais me laisser emporter par le tourbillon d'une passion si futile et matérielle, si dénuée de sens que je risquerais d'y laisser ma personnalité et mes idées.
Des années plus tard, je me retrouve à écrire tout le temps. J'écris, je pose, je dessine et j'explore l'art. L'art, qui m'inspire des émotions, des sens nouveaux, du rêve et de nouvelles idées. L'art, qui au final tient souvent dans un objet ou une image, qui se rapproche de ces vieilles voitures auxquelles des gens consacrent leur vie. Je ne me sens pas vide, mais je ne me sens plus si loin de ces collectionneurs et trippeux de chars non plus. Surtout lorsqu'ils me bloquent le passage pour me rendre chez mes parents, là j'ai presque l'impression d'en faire partie. Mais jamais tout à fait.
La passion brille aux yeux de celui qu'elle habite au point d'éclipser celle des autres. Il ne faut toutefois pas oublier que ces autres sont tout aussi éblouis par la leur.

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