mardi 22 mai 2012

Galanterie manquée

Dans mon monde vu de travers, la bêtise est humaine.
Mon texte précédent débutait sur la dichotomie entre jeunesse et vieillesse. Eh bien aujourd'hui, j'ai vécu les deux. Je m'explique.
Depuis quelques (disons une cinquantaine) années, la galanterie se fait rare. Quelques personnes seulement peuvent encore en profiter, essentiellement de vieilles dames ou un peu moins vieilles mais chargée comme des mulets. Imaginez la surprise lorsque le geste vient d'un homme de moins de soixante ans. Surtout lorsque cet homme paraît encore plus jeune qu'il ne l'est, qu'il vous sourit et qu'il attend que vous ayez franchi le seuil de la porte avant de s'y aventurer aussi. Souvent, j'ai droit à un regard suspicieux, un sourire gêné, parfois un merci tout discret. D'autres fois, les gens figent, me dévisagent, utilisent une autre porte, me rentrent dedans, changent de chemin ou se cramponnent à leur sac à main.
Aujourd'hui, j'allais entre dans un centre d'achats. Jusque là, rien de spécial. Par la double porte vitrée que je tenais déjà par la poignée, je vois s'approcher une dame toute frêle suivie d'un bougon. Pas comme dans la télésérie du même nom, plutôt comme un vieux monsieur aux traits tirés vers le bas, au regard haineux en permanence et aux mouvement brusques et méchants. J'ouvre la porte, souris à la dame et me fait violemment bousculer. L'homme reste planté devant moi, puis s'approche à quelques centimètres de mon visage déconfit.
«T'es pas un portier, crisse. Pour qui tu te prends?»
Il me pousse encore une fois, agrippe le squelette avec des cheveux qui le précédait et l'entraîne plus loin. Je les regarde s'éloigner, un peu abasourdi.
Quelques minutes plus tard, je récidive. Au moment de sortir du bâtiment, encore par la même porte, je vois une jeune femme se préparer à la plus étrange contorsion équilibriste pour ouvrir la porte, faire entre sa gigantesque poussette contenant des centaines d'articles (et, quelque part, un bébé), poursuivre un conversation téléphonique et qui sait, un coup partie elle aurait pu s'entraîner à l'escrime. Je me dépêche de lui ouvrir la porte avant qu'elle ne se déchire quelques épaules ou qu'elle s'écartèle. Elle me lance un regard noir. Pas gêné, pas poli, pas fâché, noir. Avoir eu des super pouvoirs, elle m'aurait désintégré sur-le-champ. Toujours au téléphone, elle se coupe elle-même au milieu d'une phrase.
«Ark ya un ostie de jeune qui m'a ouvert la porte.»
Ça part mal. Puis, en ma direction:
«Touche pas à mes affaires, le fêlé! Retournes d'où tu viens!»
La porte vitrée s'est refermée sur elle, me censurant le reste de sa pensée. Bonne porte.
J'avoue ne plus comprendre les gens. Déjà que je me sens un peu étranger, là, c'est un record. «Retournes d'où tu viens»? Que voulait-elle dire par là? En plus d'avoir l'air originaire du secteur, je le suis!
Morale de l'histoire: la bêtise est humaine. À vous de décider si c'est moi qui suis trop bête pour m'empêcher d'ouvrir la porte aux gens, ou bien le bougon qui m'aurait massacré s'il avait eu une matraque, ou la folle qui m'a pris pour un détraqué d'une autre planète.

1 commentaire:

  1. Rare sont les gens qui font de bonnes actions de façon gratuite. Alors, quand quelqu'un leur en fait une, je crois qu'il pense automatiquement qu'il y a une autre signification que de la simple gentillesse !

    RépondreSupprimer